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MLN 120.4 (2005) 807-824



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Oiseaux, ombre, désir : Écrire dans les Lais de Marie de France

University of Washington

Dans la première partie du prologue général de ses Lais, Marie de France introduit deux idées apparemment contradictoires. Le devoir de celui ou celle à qui Dieu a donné un talent de conteur, écrit-elle, est de ne jamais se taire ou se cacher, mais bien de se montrer sans réticence :

Ki Deus ad duné escïence
E de parler bone eloquence
Ne s'en deit taisir ne celer,
Ainz se deit voluntiers mustrer.
(v.1–4)1
[Quand Dieu vous a donné la science et un talent de conteur, il ne faut pas se taire ni se cacher, mais se montrer sans hésitation.]2

Le poète, autrement dit, a l'obligation de faire profiter les talents que Dieu lui a octroyés en mettant en valeur à la fois sa « science » et son « éloquence ». Véhiculés par les paroles du conteur, poursuit Marie, les beaux faits sont destinés à se transformer en « fleurs » qui, sous la louange des auditeurs, ne cesseront ensuite de s'épanouir3 . Reprenant [End Page 807] la parabole des talents au profit du poète, Marie lie ainsi l'avenir de la « bone eloquence », son épanouissement dans le temps, à ce qui doit être exposé au grand jour, « voluntiers » révélé.

Dans les vers suivants cependant, Marie semble dire tout autre chose. Citant Priscien, elle fait valoir cette fois que les Anciens avaient généralement tendance à s'exprimer « oscurement », et ce, afin de laisser à leurs futurs lecteurs la possibilité de commenter leurs textes en y ajoutant ce qu'elle appelle encore leur « surplus » de sens :

Custume fu as ancïens,
Ceo testimoine Precïens,
Es livres ke jadis feseient,
Assez oscurement diseient
Pur ceus ki a venir esteient
E ki aprendre les deveient,
K'i peüssent gloser la lettre
E de lur sen le surplus mettre.
(v.9–16)
[Les Anciens avaient coutume, comme en témoigne Priscien, de s'exprimer dans leurs livres avec beaucoup d'obscurité à l'intention de ceux qui devaient venir après eux et apprendre leurs œuvres : ils voulaient leur laisser la possibilité de commenter le texte et d'y ajouter le surplus de science qu'ils auraient.]

Notons qu'en rapprochant la participation active des lecteurs et la notion d'obscurité, Marie s'inscrit de toute évidence dans une tradition herméneutique bien établie au XIIe siècle fondée sur l'idée d'un voile ou d'une couverture (involucrum ou integumentum) centrale au processus d'interprétation. Si les vers que nous commentons ici ne sont par ailleurs, comme on l'a souvent noté, qu'une suite de topoï liés à la rhétorique de l'exorde4 , leur juxtaposition ne manque pas toutefois de soulever des problèmes intéressants. Comment concilier en effet l'idéal de transparence prôné dans les premiers vers du prologue avec celui de l'obscurcissement prôné dans les seconds ? Comment le poète peut-il en même temps ne pas se « celer » tout en s'exprimant « obscurement » ? L'avenir de la « bone eloquence » dépend-il enfin de ce qui est montré ou bien de ce qui est caché ?

Sans prétendre répondre à ces questions difficiles, je voudrais avancer l'idée que, loin d'appeler une résolution, les contradictions [End Page 808] que nous venons de relever font partie inhérente de ce que Marie entend par création poétique. (Les termes de ces propositions ne sont donc pas mutuellement exclusifs, mais bien plutôt complémentaires.) Écrire implique bien pour elle exposer au grand jour les « ...

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