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MLN 120.4 (2005) 849-870



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Michel Leiris et la fuite impossible :

Ethnographie, autobiographie et altérité féminine dans L'Afrique fantôme

Université de Montréal
Sans doute ne saurons-nous rien et devrons-nous nous en aller aussi pauvres de savoir que de vêtements ce gosse aperçu ce matin uniquement vêtu d'un petit sac de toile en bandoulière, pour serrer ses arachides.
—Michel Leiris, L'Afrique fantôme (AF 165)1
Pour dire mon sentiment très en gros, l'ethnologie, ça ne sert à rien, ça ne change rien.
—Michel Leiris, C'est-à-dire, 39

On considère aujourd'hui que l'ethnologie française du début du XXe siècle, si tant est qu'elle existât alors comme discipline, accusait un certain retard par rapport à la communauté scientifique anglo-saxonne, dans la mesure où les enquêtes de terrain et les ouvrages spécialisés étaient rares2 . Il y avait bien, d'une part, les écrits de [End Page 849] Lafitau sur les « mœurs des Sauvages américains » en Nouvelle-France (Motsch), les travaux de Leenhardt sur la Nouvelle-Calédonie ainsi que ceux de Rivet et Métraux sur l'Amérique du Sud et, d'autre part, les essais purement théoriques de Durkheim, Mauss et Lévy-Bruhl, mais il en fallait davantage pour constituer une solide tradition ethnographique (Jamin 9–14 ; Clifford 21–54 ; Richman « L'Altérité sacrée », 2002). Or, à l'époque où Michel Leiris s'embarqua pour l'Afrique avec la « Mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti » (Jamin 10), plusieurs monographies à prétention scientifique traitant de cultures et de sociétés dites primitives circulaient depuis des décennies déjà en Angleterre et aux États-Unis. Dans The Invention of Primitive Society, étude consacrée à l'imprégnation de l'illusion primitiviste dans le discours ethnographique depuis 1860, Adam Kuper souligne que cette fascination engendrée par la recherche de la société originaire, porteuse d'indices susceptibles de révéler aux civilisations « évoluées » les stades archaïques de leur développement, s'est surtout développée durant la seconde moitié du XIXe siècle, ce qui coïncide à peu près avec la publication de l'ouvrage de Darwin, The Origin of Species (1859)3 .

Bien qu'il fût pratiquement ignoré par la tradition ethnologique française jusqu'à Lévi-Strauss dans les années 1940 (Kuper 210–30), notamment pour des raisons linguistiques, ce débat autour de la question des sociétés primitives n'en a pas moins soulevé les passions de part et d'autre de l'Atlantique. Ainsi, des anthropologues comme L. H. Morgan, E. B. Tylor, J. B. Frazer, F. Boas, W. H. R. Rivers et A. C. Haddon consacrèrent leurs recherches aux structures fondamentales de la société primitive à partir d'enquêtes menées sur le terrain auprès de populations « archaïques » contemporaines, notamment en Australie, chef-lieu du primitivisme (92), dans les îles du Pacifique et aux États-Unis. Pendant des années, jusqu'à l'intervention critique de Malinowski vers 1930, ils tentèrent de comprendre la logique des liens de parenté et les règles de descendance en vigueur au sein des populations étudiées en vue d'un classement systématique, puis jonglèrent longuement avec la question du totémisme, véritable mythe fondateur du rationalisme (121). Or, comme le souligne [End Page 850] Kuper à juste titre dans une formulation quasi foucaldienne4 , « there are no fossils of social organization » (7) et, en conséquence, « the history of the theory of primitive society is the history of an illusion » (8).

Les sympathisants du surréalisme...

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