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French Forum 30.2 (2005) 97-119



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La "Conscience d'un Cri" dans la poétique d'Edmond Jabès

… et ce cri ils l'ont reconnu. Ils le portaient en eux depuis toujours. Ils savent maintenant quel est le langage commun de l'homme et de la bête, le langage de la peur.
Anna Langfus

Un cri jaillit de l'oeuvre de Jabès; le cri de l'homme en proie à la révolte, le cri de l'écriture épousant en son rythme le cri collectif des survivants de la Shoah, le cri de Dieu à qui l'œuvre cherche à rendre les derniers sacrements. Mais jamais le cri de Zarathoustra—"Dieu est mort!"—ne résonne avec la même intensité chez Jabès. Car pour l'un, c'est un cri de jouissance acclamant la liberté de l'âme qui sort du "surhomme" nietzschéen; pour l'autre, c'est un cri de détresse qui s'échappe de l'homme juif aux prises avec la mort. Certes Jabès, héritier de la modernité occidentale en lutte contre l'incarnation du verbe divin, parousie en puissance, a éprouvé la mort de Dieu dans l'âme de son temps. Et au nom d'un athéisme (ou "humanisme théologique") se croyant libéré du théisme, il s'est porté en faveur de son acclamation.

Toutefois le visage du juif issu de la condition post-Shoah vient infirmer ce qu'affirmait au préalable le poète de la tradition occidentale. Pour Jabès, le peuple juif témoigne de la "mort de Dieu," mort puisque, pour se réaliser, il s'est perdu dans la création, dans l'histoire, dans le mal en s'exilant du monde. La "mort de Dieu" proclamée sous l'égide mallarméenne, ou consacrée par l'homme nietzschéen ne triomphe donc pas dans la conscience juive du poète. Si mort il y a, dans cette œuvre où se joue la question de la représentation, elle est donc [End Page 97] pour Jabès la métaphore d'une éclipse de Dieu toujours déjà là. Et l'écriture porte la trace matérielle de cette absence originaire: "Dieu donne à la mort la dimension de son absence"(1969, 55).1 De surcroît, et cela est propre au judaïsme traditionnel, cette présence dissipée doit demeurer absente au risque de donner prise à l'idolâtrie de l'image. La "mort de Dieu" chez Jabès est donc aussi ce qui figure l'interdit de la représentation. Car toute représentation annihile l'objet figuré en le fixant sur un visage. Dieu ne saurait avoir de substitut; lui substituer une image, c'est signer sa mort. La dé-figuration s'impose alors dans l'œuvre de Jabès qui cherche à abolir la figure divine.

Mais "défigurer" Dieu annonce aussi la révolte qui dénonce le scandale de la mort et le néant de l'existence; révolte par laquelle Jabès rend à Dieu son visage de l'inhumain après la Shoah. Lors du génocide, ce Dieu de l'inhumanité, sourd aux cris humains ou trop humain lui-même par son silence, est déshumanisé par le geste de la défiguration sous la vision tragique des survivants à qui Jabès prête voix. La genèse des livres de Jabès commence donc par l'amère constatation que "l'homme de la seconde moitié du vingtième siècle est né des cendres d'Auschwitz" (1991, 15) d'où surgit le cri au delà et en deçà de toute articulation du langage. Et ce cri de protestation défiant le silence remonte de l'homme à Dieu. Le mal pour le mal a sonné le glas de la théodicée.

Le Cri de la Révolte

Au dé...

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