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  • L’archange et l’AigleTournier Face à Hugo dans Le Medianoche Amoureux
  • Marie-Sophie Armstrong

Dans le récit liminaire du Medianoche amoureux, collection de vingt nouvelles de Michel Tournier publiée en 1989, les partenaires d'un couple en détresse décident d'annoncer leur séparation prochaine à leurs amis lors d'un repas nocturne (un medianoche) donné dans leur maison de la baie d'Avranches en Normandie. Loin pourtant d'entériner la séparation du couple, le repas débouchera sur l'espoir et la réconciliation. C'est que chaque invité a raconté un conte et que le pouvoir cumulé du verbe a su recréer le couple en lui donnant "une maison de mots où habiter ensemble."1

C'est implicitement de l'intérieur de ce récit encadrant qu'est racontée la grande variété de contes et récits qui constituent le recueil. Figure parmi ces nouvelles "Angus," un texte dont Tournier doit l'inspiration, ainsi qu'il l'explique dans la note de deux pages qui fait suite au récit, à "L'Aigle du casque," poème de Victor Hugo figurant dans La Légende des siècles.2 Ce sont les blancs du texte de Hugo, confie l'écrivain, qui ont donné lieu à l'écriture de ce récit.3 Se demandant d'une part "[p]ourquoi le vieux roi Angus exige sur son lit de mort que son petit-fils âgé de six ans jure de tuer le lord voisin, Tiphaine" (256) et s'interrogeant d'autre part sur ce "[q]ue sont devenus [l]es parents du petit Jacques orphelin" (257), Tournier réfléchit: "Et si ... ces deux questions n'en faisaient qu'une? Si ces mystères, au lieu de s'épaissir, s'éclaircissaient? Il suffirait d'imaginer que Tiphaine doit être tué par Jacques parce qu'il a une responsabilité accablante dans la mort de ses parents" (257).4 Dans sa version du poème hugolien, Tournier comble les blancs constitutifs du texte en donnant au vieux roi Angus une fille, la douce Colombelle que Lord Tiphaine viole dans les bois après que son fiancé Ottmar a été étranglé par Lucain, le nain de Tiphaine. [End Page 107] Colombelle meurt en mettant au monde un fils, Jacques de Strathaël, fruit de son union forcée avec Tiphaine.

Les blancs du texte hugolien une fois comblés, le lecteur eût été en droit de s'attendre à ce que le texte de Tournier reprît le texte de Hugo, et suivît de près l'original. Il n'en est toutefois rien. Si, comme chez Hugo, Jacques, âgé de 16 ans, accomplit le serment fait à son grand-père mourant de combattre lord Tiphaine dans un tournoi, la dernière partie du récit prend, pour citer Tournier, "un cours fort différent de celui rapporté par Victor Hugo" ("Note" 257). Certes on arguerait que la dimension miraculeuse du texte de Hugo est conservée—on sait qu'à la fin du poème hugolien l'aigle qui orne le casque de Tiphaine prend vie et déchiquète le visage de Tiphaine—puisqu'en dépit d'un combat qui s'annonçait sans issue, Jacques de Strathaël parvient à vaincre son adversaire en lui portant un coup mortel. C'est ainsi qu'en "heurt[ant] le plastron de Tiphaine," la lance de l'écuyer "s'[est brisée] en mille morceaux," et que l'un de ces morceaux s'est "fiché" "profondément ... dans l'orbite droite de Tiphaine" (249) sonnant le glas prochain de celui-ci. Toutefois, la victoire miraculeuse de l'enfant qui remplace en un sens le surgissement miraculeux de l'aigle est en fait presque aussitôt suivie d'un second coup de théâtre.5 Au beau milieu des magnificences de la fête qui célèbre la victoire de Jacques, le nain Lucain vient lire au jeune écuyer la lettre que Tiphaine vient d'écrire sur son lit de mort et dans laquelle il révèle à Jacques ses lettres de naissance et la raison de sa victoire. Ainsi le jeune homme apprend...

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