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Reviewed by:
  • Proust épistolier
  • Pascal Michelucci (bio)
Martin Robitaille, Proust épistolier Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. Espace littéraire, 228 p., 24,95$

Le travail de Martin Robitaille repose sur une petite partie des vingt et un tomes de la correspondance proustienne, tomes qui ne représentent sans doute pas plus de la moitié de l'intégralité de ses échanges épistolaires. Comme on le sait depuis les incontournables travaux critiques et éditoriaux de Philip Kolb, la correspondance de Proust cache, dans un océan de trivialités, tergiversations sempiternelles et excuses ressassées, quelques trésors engloutis. Les lettres de Proust n'en ont pas moins été longtemps bannies du champ de la recherche digne de ce nom comme matériau sans intérêt (21) en fonction d'une « vision minimaliste », pour reprendre le terme de Luc Fraisse (32). Le travail de Robitaille, d'un petit volume, mais d'une grande densité et d'un grand poids, est là désormais pour qu'on prenne en compte les admonestations de Fraisse et celles de Kolb, auteurs [End Page 155] pourtant des plus marquants dans la courte histoire de la critique proustienne. Robitaille s'attelle ainsi à dévoiler « l'importance de cette correspondance, son rôle dans la création littéraire de son auteur et [ses] implications psychanalytiques pour l'écriture proustienne » (quatrième de couverture).

L'étude est d'une lecture facile et fluide. Robitaille affectionne les longues citations, qui donnent le grain de l'écriture et le parfum de la relation entre Proust et les correspondants retenus. Il procède par un commentaire chronologique, qui raboute les lettres relatives à diverses saynètes de la vie de Proust parmi les plus connues ou les plus énigmatiques — la mort de la grand-mère, le bris d'un vase dans une colère, ou les humiliations imposées par Montesquiou, etc. Robitaille excelle à faire sens de la masse des petits faits, sans que son étude se ramène à un amas de remarques sur le fait anecdotique. Une des grandes qualités de l'étude de Robitaille est de dominer son sujet et de presque constamment ramener les points adventices à la vision d'ensemble de son travail sans se noyer dans la masse des détails innombrables que la correspondance, c'est une propriété du genre, accumule.

Cette vision d'ensemble emprunte une approche psychanalytique pour étudier la « question des transferts de Proust sur ses correspondants », question encore jamais traitée. Celle-ci ouvre ponctuellement, Robitaille le montre pour quelques personnages, sur la systématisation des glissements en question par le biais de la fictionnalisation du réel dans son transfert dans la Recherche, mais ce n'est pas le centre de l'étude. La correspondance est plutôt vue par Robitaille comme « une fiction écrite par un "je" aussi fuyant et fragmenté que celui de l'écrivain. En la prenant comme un texte, [il] cherche plutôt à y déceler une dynamique d'écriture qui est à l'origine de tout ce que l'écrivain a "produit" ». Cela dépasse de loin la conversion du biographique en matériau de fiction qu'on pourrait voir associée au transfert.

Il est notable, ainsi qu'on le remarque à la bibliographie de Robitaille, que l'armature théorique relative à la notion psychanalytique de transfert est réduite au minimum — un peu de Freud et de Pontalis, et quelques incursions supplémentaires dans le champ freudien (Lacan est mentionné discrètement pour l'Autre). Cette armature intervient subtilement dans les analyses de Robitaille, et seulement à point nommé. Pour qui est familier de la mouvance psychanalytique, il serait inutile et fastidieux de réprendre à chaque fois les thèses et les études de cas freudiens sur lesquels se fonde l'analyse ; les notes, précises et parfois amples, y suffisent. Certes les néophytes en la matière auraient probablement souhaité que Robitaille explicitât à certains endroits stratégiques les avancées psychanalytiques sur lesquelles il se fonde. Il est dommage qu'hors de ce cadre certaines de ses analyses puissent passer pour des banalités ou des lapalissades : « le fils modèle — c'est-à-dire le...

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