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  • Raison et contradiction. Le mythe au secours de la pensée
  • Michel Bock (bio)
Gérard Bouchard, Raison et contradiction. Le mythe au secours de la pensée Québec, Éditions Nota bene, coll. Cefan, 131 p., 9,95$

Si le mythe a été pourfendu par les penseurs de la modernité qui lui ont préféré la raison comme principe structurant de la condition humaine, c'est une véritable réhabilitation du concept que Gérard Bouchard tente d'opérer ici. Dans ce court ouvrage, qui représente la version publiée d'une conférence prononcée en mars 2003, l'auteur poursuit sa réflexion sur les [End Page 90] « imaginaires collectifs », qu'il définit comme « l'ensemble des représentations par lesquelles toute collectivité se donne une définition d'elle-même et des autres ». Il retient ici un des éléments constitutifs des imaginaires collectifs, la « pensée » sociale et politique, c'est-à-dire ce qui permet d'« élaborer des visions d'une société, de son passé et de son avenir, doublées d'un programme d'action individuelle et collective ». Il propose une typologie consistant à relever les différentes « pensées » possibles afin de mieux saisir, en dernière analyse, le rapport collectif au mythe. Ceux qui ont parcouru Les deux chanoines, ouvrage consacré à Lionel Groulx que publiait également l'auteur en 2003, s'y reconnaîtront aisément, cette brochure en reprenant l'essentiel du cadre théorique.

Bouchard voit dans le mythe non pas un obstacle à la capacité que possède une société à donner un sens à son passé et à se projeter dans l'avenir, mais plutôt un instrument permettant, s'il est opérant, de surmonter les contradictions inhérentes à toute forme de « pensée » collective et d'en réduire - ou d'en masquer ? - les incohérences. Il serait tentant d'établir un lien de parenté entre l'analyse de Bouchard et les thèses structuralistes, si ce n'était que l'auteur s'autorise à poser un jugement sur la valeur et l'utilité de chacun des types de « pensée » qu'il relève (ce qu'il reconnaît, du reste, lorsqu'il affirme que son approche « ouvre la voie à une analyse pragmatique du mythe »).

Bouchard identifie trois grandes catégories de « pensées » (radicale, organique et équivoque) qui parviennent avec plus ou moins de succès à surmonter les antinomies qu'elles contiennent. La première, la pensée radicale, est la plus efficace et, sans doute, la plus facile à mettre à jour. Elle regroupe, pour l'essentiel, les sociétés issues de mouvements révolutionnaires, qui ne tolèrent guère la coexistence des contraires. La France jacobine constitue, aux yeux de Bouchard, un exemple parfait de la pensée radicale. Pour résoudre l'antinomie entre la République et l'Ancien Régime, la première dut s'appliquer à supprimer le second, tout simplement. En faisant table rase du passé, en éliminant toute trace de l'Ancien Régime (abolition des privilèges, suppression des langues régionales, invention d'un calendrier républicain, etc.), le mythe révolutionnaire triompha de son prédécesseur absolutiste. Malgré la clarté des principes sur lesquels elle repose, la pensée radicale, peu flexible, a du mal à se reproduire et s'essoufflera tôt ou tard. Autrement dit, son efficacité lui coûte sa longévité.

La pensée organique, pour sa part, est plus difficile à saisir puisque par définition plus ambiguë. Mais à l'inverse de la pensée radicale, c'est cette ambiguïté qui lui assure une certaine pérennité. Y cohabitent des apories que le mythe permettrait de réconcilier de manière plus ou moins convaincante. Bouchard relève l'exemple des États-Unis contemporains : on y a cultivé, en effet, le mythe de l'égalité, et ce, malgré des écarts sociaux flagrants. C'est le mythe de la mobilité sociale (l'American dream) qui vient résoudre cette antinomie dans l'imaginaire collectif étatsunien et qui [End Page 91] permet à ce dernier de se reproduire et de s'adapter aux circonstances. Les cultures les plus...

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