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  • Le problème de l’engagement au seuil de la modernité
  • Samuel Junod (bio), Florian Preisig (bio), and Frédéric Tinguely (bio)

Les contributions réunies dans le présent numéro spécial des Modern Language Notes émanent toutes d'étudiants, anciens ou actuels, de Gérard Defaux. Aux origines de ce projet, qui remonte à l'année 2002, on trouve le simple désir, que nous partagions tous, de nous retrouver autour de Gérard Defaux, de son œuvre et de son enseignement, afin de nous livrer avec lui à une réflexion fructueuse sur la littérature engagée aux XVIe et XVIIe siècles. Nous l'avons fait dans nos domaines respectifs, avec les méthodes et les sensibilités qui nous sont propres, mais en marchant à plus d'une reprise, comme le lecteur s'en apercevra rapidement, sur des sentiers déjà foulés, souvent défrichés, par Gérard Defaux.

Car le sujet choisi reflète l'engagement critique du chercheur, du professeur et de l'homme, à tel point qu'il s'est imposé comme une évidence. Cela démontre que l'engagement, dont Gérard Defaux nous a offert un modèle éclatant, relève de la perception d'un auditoire, de la réception d'un message ou d'une œuvre, dans lesquels les lecteurs ou les auditeurs reconnaissent un investissement personnel particulièrement important. La mobilisation de compétences reconnues au service d'une conviction, celle qu'on attribue à l'auteur engagé, la visibilité de son action dans un champ polarisé et une efficacité présumée contribuent à esquisser les contours de cette pratique protéiforme à laquelle on donne communément le nom d'engagement.

Reste à opérer la transition d'une notion moderne à une réflexion sur l'engagement littéraire au seuil de la modernité. L'exercice se [End Page S8] révèle vite extrêmement fructueux, car il permet, dans un premier temps, de mettre en lumière toute une palette comportant des modalités d'engagement particulièrement variées, des plus évidentes aux plus subtiles, des plus claironnantes aux plus silencieuses, de Marot à Briçonnet, d'Aubigné à Urfé. Or, le caractère extensible de la notion d'engagement, lorsqu'on la projette sur l'infinie diversité des pratiques littéraires tentant, à leur manière, d'agir sur le cours des choses, nous rappelle à une prudence toute nominaliste, si l'on peut dire : le mot ne présume pas de l'existence d'une réalité et les référents que l'on adjoint au signifiant sont bien entendu négociables. L'objet de cette introduction en forme de précaution est donc de souligner quelques problèmes qui surgissent lorsqu'il s'agit de penser l'engagement aux XVIe et XVIIe siècles et de fournir quelques pistes de réflexion.

Il convient d'abord de se poser la question de l'historicisation ou non de la notion d'engagement. Faut-il admettre une manière de vulgate de l'écriture engagée et l'exporter telle quelle dans la période prémoderne ? Cette option aurait le mérite de respecter le textus receptus, à savoir une conception de l'action littéraire dans le monde héritée du Romantisme et de Sartre, incarnée par Hugo, Zola, Gide, Sartre et autres Bernard-Henri Lévy. Ce dernier, décrivant Sartre comme l'« homme-siècle »1 , souligne bien la coïncidence entre l'écrivain et son temps, le premier tendant même à devenir l'emblème du second. L'écrivain engagé met en gage sa crédibilité, sa popularité, son succès (comme Zola lors de l' « Affaire »), voire sa liberté, au service d'une cause qui lui permet de se mettre au diapason de l'histoire, mais d'une histoire dynamique, en mouvement, le mouvement du Progrès. Car l'engagement moderne est essentiellement politique et ce label est dévolu au contre-pouvoir plutôt qu'aux forces de la réaction ou à l'inertie conservatrice.

On comprend, à cette description, que les conditions littéraires, sociologiques et politiques étant si radicalement différentes à l'époque...

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