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  • Elie Stephensonparoles de feu pour un “pays” nommé Guyane
  • Isabelle Favre

Elie Stephenson est une figure marquante de la vie culturelle guyanaise. Sa popularité en Guyane tient au fait que son œuvre peut être perçue comme une forme de performance; en effet, si cet essai portera sur sa poésie, il convient de mentionner que Stephenson s'adresse à un public spécifique qu'il connaît, et duquel il est souvent connu. Ce public, il l'a rencontré tout d'abord en tant qu'acteur de théâtre, avant de devenir lui-même auteur de pièces qui seront jouées par sa propre troupe. De plus, à partir de 1970 et comme pour compléter ce contact en direct avec les Guyanais, Stephenson exploite ses talents musicaux et fonde avec quelques amis le groupe Les Nèg'marrons. Comme on peut s'en douter, ce groupe véhicule à travers ses rythmes les préoccupations sociales, politiques et poétiques de ses membres. Ils sortiront un 45 tours en l'honneur de Léon G. Damas et se produiront également hors des frontières guyanaises. Cette évocation de Damas nous amène presque logiquement à Stephenson poète, que l'on considère parfois comme le successeur du grand chantre de la négritude. Ce rapide profil de l'homme fait ressortir non seulement la polyvalence artistique, mais également une volonté déterminée de faire coïncider de très près le travail de création individuel avec l'élaboration d'un édifice collectif.

Stephenson emblématise l'écrivain engagé, c'est un homme qui se met tout entier dans ses textes. Pour lui, paroles et actions participent d'une dialectique très concrète, ainsi qu'il l'affirme lui-même:

Ecrire [. . .] signifie deux choses: participer et témoigner. Participer, c'est faire corps avec la vie, l'action collective, c'est également être partie prenante dans la pratique sociale—au sens large—c'est-à-dire dans le devenir de la communauté. Témoigner, c'est décrire, s'interroger et interroger le groupe ou la collectivité, mais également prendre position et par là même, affirmer son engagement physique, intellectuel et sentimental.1 [End Page 107]

Engagement de l'auteur donc, jusqu'à sa propre présence "physique" en Guyane à la suite de sa formation universitaire. Comme tout individu de Département d'Outre-Mer (dom) désirant entreprendre des études poussées, il quitte la Guyane en 1965 pour Paris. Il obtient son doctorat en économie, et cette fois contrairement à la norme des "Domiens" qualifiés, il choisit de rentrer chez lui à Cayenne, où il enseignera au lycée Eboué de 1970 à 1990. A ce moment-là, un tel choix exprime une résistance tout à fait consciente à la politique d'assimilation qui avait cours dans les Départements d'Outre-Mer. C'est en effet au cours de cette période que la production et les exportations des dom tombèrent en chute libre; cette situation entraîna un taux de chômage impressionnant sur place, et l'on mit sur pied des programmes2 incitant les Domiens à se rendre en métropole. Richard Burton relève avec une pointe d'ironie qu'à cette époque le principal produit d'exportation des dom était certainement . . . les Domiens eux-mêmes!3 Plutôt que de briguer une carrière professionnelle lucrative en métropole ou en Afrique, Stephenson revient donc au pays. Il met alors en scène et en vers une farouche critique du phénomène d'exode qui selon lui, empêche la Guyane de se mettre debout en lui plaçant de confortables béquilles sous les aisselles.

En outre, comme le précise Biringanine Ndagano dans son introduction à La nouvelle légende de D'Chimbo suivi de Massak,4 l'un des objectifs visés par les Nèg' marrons est d'inviter "au retour des Guyanais au pays, allusion à tous ceux qui, après leurs études, préféraient rester en France ou travailler dans l'administration en Afrique [. . .] c'est le thème de la chanson intitulée Vié frèr."5

Le style littéraire de Stephenson...

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