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  • Daniel Oster, deleatur, moriendo1à propos de Rangements2
  • Paul Echinard-Garin

Que met au jour un écrivain à la fin de sa vie? Que publie-t-on avec prédilection de façon posthume? S'il est un genre littéraire auquel les fins de vies semblent prédisposer, c'est celui du carnet, du journal intime: ainsi, même si leur rédaction a souvent été accomplie en marge de l'œuvre en cours, leur publication semble réservée justement au moment où l'écrivain a gagné depuis longtemps le statut de "gendelettre"3 : ainsi en est-il du Brouillon général de Novalis, du Journal de Michel Leiris, dont la publication posthume autorise depuis toute exhumation des derniers papiers, comme le "carnet posthume" de Roger Laporte tout récemment publié par Philippe Lacoue-Labarthe; ou bien des carnets d'André du Bouchet dont la publication s'est accélérée à l'approche de la mort.

Pourtant, alors que Rangements a été publié plus de deux ans après la mort de son auteur,4 il semble d'abord que ce livre ne saurait être classé à part du reste de l'œuvre, de même qu'il aurait été une erreur de cantonner Passages de Zénon5 aux rayons de Critique littéraire ou de classer ad aeternam Stéphane6 dans ceux des romans, malgré son sous-titre.7 Mais cette œuvre terminale finit de questionner encore le Mystère qu'est Soi, en ce sens qu'elle cherche des moyens pour en finir: il s'agit de se servir de la fragmentation, dans le but de "classer" le dossier "Daniel Oster"; de se moquer du devenir de ce testament pour faire de ces ultima verba une "poubelle" capable de restaurer dans les rayonnages qui se vident les intervalles qui viendront exprimer seuls le sujet.

Soi-même comme d'autres?

Un personnage, Putmans, demandait, dans Stéphane,8 à son père qui n'est diariste qu'un jour par an, et n'écrit que dix lignes: "Qu'est-ce [End Page 101] que c'est 'journal intime'? lui demandai-je un jour. Il me répondit: 'C'est ce qu'on pourrait dire de soi-même si on l'était.'" Le postulat de l'écriture d'Oster est l'impossible de l'écriture de soi. Je est une "lacune."9 "Je" ne se réfère à rien. "Je est le mot le moins intime qui soit."10 D'abord parce que la singularité du sujet ne se réduit pas à une écriture de ce sujet, les deux notions restant imperméables l'une à l'autre ("ce que je suis est hors de la question de l'écriture."11 ); ensuite, parce que manque tout ce qui reste non-écrit. Du coup, "les traces les plus sûres sont les traces manquantes"12 et le sujet est réduit à la division. Au fondement de l'œuvre se dégage ainsi la conscience aiguë que "tout ce qui ne laisse pas de trace (la quasi-totalité) sera aboli,"13 que la trace ne figure qu'une approche déceptive, aux formes multiples, et que ce "je" sera irrémédiablement étranger à l'écriture: "[...] l'effleurement discret, un matin d'été, de l'index de Stéphane sur la joue d'Anatole, qui n'a laissé aucune trace, figure à lui seul et pour jamais toute Narration."14

Il existe bien un récit pur qui loge la vérité de "soi," mais il n'a pas laissé de trace directe; il se situe partout et nulle part dans l'œuvre. Tous les livres de Daniel Oster sont ainsi traversés par le thème, d'ailleurs tautologique dans un tel genre littéraire,15 de l'impossibilité de l'auto-bio-graphie, dans l'association unique que ce mot composé exprime. Son dernier opus ne s'en éloigne jamais, mais veut être l'achèvement de ce qui se sait achèvement impensable; c'est ce double mouvement que doit reprendre l'œuvre qui se sait ultime.

Mallarmé devient le modèle de l'autobiographie, lui qui construit dans chaque poème des récits biographiques...

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