In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Les enfants Antigone
  • Catherine Dana

17 octobre 1961 : la manifestation organisée par le FLN pour protester contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans est réprimée sauvagement par la police. Cette date marque un événement particulier à plusieurs titres: d'abord, il a lieu à Paris et transporte ouvertement la guerre d'Algérie (1954-1962) sur le sol métropolitain;1 ensuite les exactions du 17 octobre 61 sont menées par des policiers français, sous la responsabilité du Préfet de police de l'époque, Maurice Papon.2 Enfin c'est un événement qui est immédiatement, au moment même où il a lieu, escamoté par le pouvoir en place et tu par les participants.

Vingt ans plus tard: face au silence assourdissant de leurs parents et des deux états qui ont occulté l'histoire de la manifestation et le rôle qu'ils y ont joué, face à l'énigme que ce silence représente, face à la discontinuité du discours historique qu'il engendre, les descendants de ceux qui ont été acteurs, témoins, victimes du 17 octobre 1961 et de la Guerre d'Algérie, cherchent à le comprendre et à le rendre audible.3

Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx (1984 ) et La Seine était rouge de Leïla Sebbar (1999 ) sont deux romans dont la date de publication correspond aux charnières de la mémoire de cet événement—les déclarations de Gaston Defferre en 1981 , et celles de Jean-Luc Enaudi en 1997 4 —et qui retracent, par la fiction, la démarche de la deuxième génération décidée à résoudre l'énigme que représente le 17 octobre 1961. Ces romans entrent dans la catégorie que Dominique Viart appelle "récits de filiation," c'est-à-dire des récits en forme d'enquête, où l'histoire de l'ascendant, devenue problématique—la plupart du temps à cause d'une guerre qui a engendré traumatisme ou disparition—entraîne chez les descendants un questionnement de soi ayant la particularité de se figurer dans un certain rapport à la transmission familiale et historique, [End Page 113] un questionnement qui ne se résume plus au traditionnel "qui suis-je?" mais qui demande "de qui suis-je le fils ou la fille?"5

Ces romans mettent en évidence d'une part le fait que l'occultation ou l'interruption du discours historique fracture le discours de la lignée, la généalogie; et inversement ils montrent que la rupture généalogique, c'est-à-dire une rupture de la mémoire privée ou familiale, impose une solution de continuité au discours historique et à la mémoire collective. D'autre part, ils illustrent la façon dont les descendants considèrent comme une obligation vis-à-vis de leurs ascendants de recoudre la filiation qui a été involontairement déchirée en faisant percevoir les voix, les histoires qui n'ont pas été entendues.

Ce sont ces descendants que j'appelle les "enfants Antigone."

Filiations littéraires

Des deux textes, l'exemple le plus classique de la structure d'enquête est Meurtres pour mémoire, roman policier sorti en 1984 dans la Série Noire, à une époque où les événements de la guerre d'Algérie n'étaient pas encore à l'ordre du jour officiel.

Ainsi lorsque Daeninckx sort son premier livre qui est Meurtres pour mémoire et que ce premier livre s'ouvre sur la manifestation organisée par le FLN le 17 octobre 1961 et sur la répression sauvage de la police qui lui a répondu, il est un des premiers à le faire.6 Il est un des premiers à revenir sur l'événement et le premier à l'intégrer dans un roman, un roman policier de surcroît. C'est-à-dire dans un livre populaire, destiné à la lecture de masse. Suivant les leçons du néo-polar des années 70 , de ses aînés Jean-Patrick Manchette, Frédéric H. Fajardie, etc., Daeninckx inscrit l'historiquement inacceptable et tabou, l'intransmissible, l'incommunicable dans une structure policière. Le roman noir, m...

pdf

Share