University of Toronto Press
Francophonies d'Amerique - Francophonies d'Amerique 17 Francophonies d'Amerique 17 (2004) 1-4

Francophonies d'Amérique

Université de l'Alberta
[...] le rôle social de l'écrivain, [c'est] ... aussi le devoir de transcender la réalité par fabulation pour brasser les fausses certitudes que l'on a et qui nous enferment.
France Daigle, «Interview»

Le modèle d'engagement que nous propose France Daigle pour l'écrivain pourrait aussi bien s'appliquer aux chercheur/es qui continuent leur travail de «réflexion» sur cette vaste francophonie nord-américaine, de plus en plus fouillée et auscultée dans tous ses angles et perspectives, non seulement pour «brasser les fausses certitudes que l'on a et qui nous enferment», mais aussi, et surtout peut-être, dans le premier temps d'études nouvelles et renouvelées qui contribuent à nous signaler sa complexité, comme la nécessité, parfois, d'une action concrète...

Cette année, comme par le passé, Francophonies d'Amérique nous invite à voyager dans les méandres de cette francophonie à tous les plans plurielle, dont le caractère hétérogène se trouve ici accentué grâce, en partie, à un numéro pour lequel aucune thématique n'a été retenue. D'autre part, la revue continue à susciter, par la diffusion des recherches et du savoir qu'elle offre, des études sur des lieux oubliés, parfois une francophonie ayant passé aux oubliettes de l'histoire et ressuscitée ici par/pour la mémoire; plus souvent dans le prolongement des travaux dans des domaines déjà bien rodés comme l'éducation, l'histoire, la littérature et la langue. De plus, et comme toujours, Francophonies d'Amérique a répertorié pour ses lecteurs et lectrices une liste exhaustive des derniers écrits parus dans les communautés francophones - romans, œuvres de poésie, pièces de théâtre, essais ou thèses - et présente une dizaine de recensions d'ouvrages tirés de cette liste. En somme, la revue maintient le cap suivant son mandat original comme l'entendait son fondateur, Jules Tessier, en 1990, soit celui de servir de «lieu de rencontre pour mettre en commun le résultat des études et travaux portant sur la vie française à l'extérieur du Québec envisagée à partir des perspectives multiples offertes par les disciplines groupées sous la double appellation des sciences humaines et sociales».

La répartition des articles suivant les grandes régions de la francophonie nord- américaine nous procure comme toujours un horizon de plus en plus large des collectivités francophones, sorte de paradigme pour l'éclectisme des regards qui permet d'apprécier en profondeur des lieux déjà parcourus et d'inscrire de nouvelles pistes à l'étendue des possibilités... [End Page 1]

La première région représentée dans ce numéro et qui offre justement cette diversité de regards et de perspectives est la grande région des États-Unis, au-delà même de celle parcourue par Pélagie dans son périple entrepris en 1770. Le premier article, signé Clint Bruce et Jennifer Gipson, nous fait découvrir les «degrés de résistance dans la littérature des Créoles de couleur de la Louisiane au xixe siècle»; il dévoile des éléments d'une réalité inconnue du monde entier et même de la francophonie. Qui sait, par exemple, qu'il existait aux États-Unis avant la Guerre civile «une population d'origine africaine, francophone et libre»? qu'elle a produit une littérature qu'on pourrait qualifier d'engagée (comme l'indique le titre) longtemps avant la lettre, et que ses auteurs ont incarné un mouvement de résistance dont le modèle et l'influence se retrouvent dans quelques grands chapitres de l'histoire américaine du xxe siècle?

L'étude du «cas de Bristol» au Connecticut, sur les «attitudes linguistiques et le transfert à l'anglais dans une communauté franco-américaine non-homogène» nous plonge également dans l'histoire, celle de ces «petits Canadas» américains créés en Nouvelle-Angleterre; on nous y parle d'une problématique qui hante trop bien, comme on le sait, les communautés françaises du Canada. Composée de l'histoire de la région relatant, entre autres, les mouvements migratoires à différentes époques, puisant dans des données empiriques (recensements) et dans de nombreux entretiens, l'étude menée avec méthode arrive à des constatations fort intéressantes et en quelque sorte inattendues: le cas de Bristol pourrait même, à certains égards, faire l'envie de plusieurs de nos communautés francophones canadiennes.

Le troisième article de la série américaine mesure le rapport entre «l'écriture et l'identité franco-américaine» chez Jack Kerouac à partir d'une de ses dernières publications, Satori in Paris. Contrairement aux critiques anglophones qui passent sous silence la dimension francophone dans les ouvrages de Kerouac - l'ethnie chez les Américains étant «nécessairement abandonnée dans la certitude du "melting pot"» -, Susan Pinette relève cette fausse lecture de Kerouac pour signaler la singulière importance de l'ethnie pour l'intelligence du texte, même que la relation dialectique entre l'ethnie et l'activité créatrice est la nécessaire «tension productrice» de l'œuvre.

De l'Acadie, le «Portrait d'auteure» donne la parole à une France Daigle toujours éloquente qui partage généreusement ses réflexions sur la langue française et le chiac, sa relation à la France, son cheminement personnel vers l'écriture, son choix de vivre à Moncton, la dimension autobiographique de son œuvre, l'engagement social et littéraire, son prochain livre, et j'en passe; donc, une France Daigle dans tous ses états, et «de plus en plus confiante dans [ses] moyens».

Ce portrait s'avère être une excellente mise en situation pour l'étude qui suit, soit une «sémiologie du personnage autofictif dans Pas pire», un des derniers ouvrages de madame Daigle. François Giroux, qui a aussi mené l'interview susmentionnée, passe à une étude s'inspirant d'une théorisation bien connue du personnage fictif signée Philippe Hamon. Analysant le «mélange de l'autobiographie et de la fiction» dans la création du personnage «autofictif», outre son fonctionnement intratextuel, le critique lance l'hypothèse selon laquelle une telle étudepourrait, entre autres, «nous fournir un éclairage très intimiste sur la démarche créatrice, voire personnelle, de l'auteure». Il va de soi que l'Acadie apparaît et se profile au bout de ce cheminement, ce qui donne lieu à des interrogations, posées de façon neuve et originale, sur des problématiques d'identité et de légitimation propres aux minorités.

Marianne Cormier nous amène du côté de l'éducation en mesurant les capacités qu'a l'école française en milieu minoritaire d'atteindre «les finalités» d'une éducation dont les attentes sont peut-être démesurées. Considérée «comme balancier compensateur [End Page 2] par rapport à la réalité sociale», l'école doit cependant composer avec des facteurs tels «l'hétérogénéité» de la clientèle, la «fatigue des acteurs», le fameux «complexe du minoritaire», les «maigres ressources», le «milieu social» nord-américain, sans compter les limites à l'étendue du travail que peut produire cette institution. La réponse au défi lancé n'est pas donnée d'avance, mais cela n'empêche pas qu'avec «l'évolution des connaissances et les recherches approfondies» qui se poursuivent, il y ait de nouvelles pistes à explorer, des approches à favoriser pour maintenir l'espoir et augmenter les chances de succès.

Bertille Beaulieu clôt cette riche contribution de l'Acadie par une bibliographie de 185 titres du roman acadien, de 1863 à nos jours, présentés ici en ordre chronologique. Voici donc le résultat d'un travail d'une grande utilité pour les chercheur/es qui se penchent sur l'impressionnante production littéraire acadienne, un travail qui fournit une base solide de références pour le grand thème que Francophonies d'Amérique a choisi pour son numéro de l'an prochain qui portera, on l'a deviné, sur une Acadie marquant ses 400 ans d'histoire.

Nous abordons l'Ontario par le biais de la sociolinguistique. Il s'agit d'une étude d'un «phénomène de variation linguistique observé dans le parler des adolescents francophones de quatre localités». Les auteurs Nadasdi, Mougeon et Rehner nous présentent des jeunes «scolarisés en français» mais dont l'expérience - «le contact avec l'anglais», le «niveau de gçais» au quotidien, le niveau de scolarisation, et les localités de résidence des locuteurs - en dehors de l'école amène des variations révélatrices dans l'usage de la langue. Ces chercheurs documentent avec méthode des pratiques langagières qui renvoient à des antécédents liés à des facteurs sociaux et à des situations bien concrètes du vécu.

L'étude suivante évoque dans l'histoire du Canada français l'époque charnière des années cinquante et soixante, celle des événements et de la dynamique liés à la Révolution tranquille au Québec, dont les rapports de celui-ci avec les communautés francophones. L'historien Gratien Allaire revient sur la question de la fin du Canada français ou de son «éclatement», c'est selon, de sa transformation ou, comme l'auteur préfère, de sa «métamorphose» en ce qu'il est devenu aujourd'hui. Pour ce faire, il revoit cette période de bouleversements à travers la participation et les prises de position de trois grandes associations (mentionnées dans le titre), dans un travail dit «exploratoire», mais qui annonce l'amorce d'une étude importante à faire pour comprendre ce moment crucial de notre histoire. Déjà, cependant, on y trouve des éléments de leçons à tirer pour la francophonie actuelle en mal de renouvellement.

La même pluralité d'approches opère à la production qui nous parvient des chercheur/es de l'Ouestcanadien. Le premier texte nous convie à un voyage sur le tourisme en terre albertaine. Prenant comme cadre théorique les trois grands discours - traditionaliste, modernisant et mondialisant - qui expriment l'évolution des francophones dans le temps, l'analyse de la question se fait à l'aide de recherches empiriques auprès de groupes et d'individus qui œuvrent dans le domaine.

On apprend que des organismes francophones officiels longtemps tenus à l'écart (avec leur assentiment) de ces domaines - le réseau institutionnel continue à s'élargir - participent maintenant au développement de ce potentiel économique peu exploité à date par les organismes touristiques gouvernementaux. On se rend compte qu'en misant, entre autres, sur un certain héritage culturel, sur l'histoire des francophones et sur des produits authentiques de la région, on peut non seulement contribuer à l'expansion de l'économie, mais entrevoir la possibilité de valoriser et d'augmenter la reproduction linguistique et culturelle de la population francophone. [End Page 3]

L'Ouest canadien est un terrain fertile, voire «privilégié» d'altérité: l'hétérogénéité de ses espaces, la pluralité de ses communautés ethniques, ses vagues d'immigration successives dans le temps, imprègnent la texture sociale d'une altérité profonde.La critique littéraire focalisant sur les minorités françaises du Canada examine «l'identité» des littératures de l'exiguïté francophones dans leur «rapport constant avec toute forme d'altérité», constate Glen Moulaison. C'est ainsi inspiré qu'il nous propose l'étude d'une «forme particulière d'altérité» dans deux romans représentant effectivement deux formes d'altérité à deux époques éloignées l'une de l'autre, mais dévoilant peut-être une caractéristique fondamentale de l'identité «franco- ouestienne».

Dans «La francophonie plurielle au Manitoba», Anne-Sophie Marchand se donne pour objectifs, à partir d'une perspective sociolinguistique, de «décrire les principales raisons» de la survivance de la minorité francophone du Manitoba malgré des politiques assimilationnistes des gouvernements successifs et une minorisation de plus en plus accentuée. L'auteure y découvre des «communautés linguistiques» dont la langue est «un parler métissé empreint de variétés» dont «certains dialectes français», «beaucoup d'anglicismes», mais aussi «la partie la plus normative du français». Est- ce ce français dans un «état intermédiaire», le paradoxe qui a permis le maintien de la langue depuis le xviiie siècle dans le pays de Riel?

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La production d'un volume comme celui-ci est le résultat d'un travail de collaboration de nombreuses personnes que je tiens à remercier. D'abord, aux membres du comité de lecture, ma plus sincère gratitude pour l'engagement accordé et pour la rigueur et la compétence dans l'accomplissement du travail imposé; à la nouvelle responsable des recensions, Pamela Sing, pour une rapidité d'adaptation aux exigences du «métier», et pour une contribution remarquée à son secteur; à Gratien Allaire, le président du conseil d'administration, qui a si généreusement accordé temps et sagesse à la bonne direction et à la gestion de la revue.

Des remerciements spéciaux sont aussi dans l'ordre des choses pour Francine Dufort Thérien qui nous a quittés au cours de l'année après avoir été notre efficace et dévouée ministre de nos finances pendant quelques années; pour Francine Bisson, qui s'occupe méticuleusement de ce travail indispensable des nouvelles publications; pour André LaRose, notre lecteur de la dernière heure, dont l'expertise et la rigueur nous permettent d'atteindre dans nos pages un niveau de qualité enviée; et surtout, pour Monique Parisien-Légaré qui, en tant que secrétaire de rédaction, a fourni, dans des conditions difficiles, un volume de travail remarquable.

Hommages et gratitude à nos universités-partenaires (Ottawa, Laurentienne, Moncton, Calgary et Alberta), qui assurent le financement de la revue, et au Regroupement des universités de la francophonie hors Québec, qui nous permet de publier un deuxième numéro annuel. Remerciements également aux Presses de l'Université de Toronto (avec les Presses de l'Université d'Ottawa), qui assument la responsabilité de la publication de la revue et maintiennent rigueur, qualité et respect des échéances.



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