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French Forum 26.2 (2001) 43-66



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Vengeance et récit dans
Le Comte de Monte-Cristo

Kris Vassilev


Dans son livre Du Superman au surhomme, tardivement traduit en français 1, Umberto Eco consacre une vingtaine de pages au roman Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. La critique d'Eco, à la fois consterné par la profusion stylistique et exalté par la structure narrative du récit, part délibérément dans deux sens opposés. S'attachant d'une part à tourner en dérision le caractère surchargé et mélodramatique de l'écriture dumasienne, allant jusqu'à juger le roman "mal écrit," le critique italien s'évertue, d'autre part, à mettre en valeur les mérites de sa construction. Il semblerait donc qu'on puisse nettement faire le partage, au sein du roman de Dumas, entre l'écriture et la composition, l'une étant supposée banale et l'autre ingénieuse.

Or, à la critique du style dumasien fait suite presque immédiatement son éloge. Aussitôt après avoir raillé l'écriture lourde et sans originalité de Monte-Cristo, Eco fait marche arrière et son commentaire prend une tournure inattendue. Il s'agit plus précisément des révélations successives au moyen desquelles Edmond Dantès accomplit ses vengeances: "Relisons trois épisodes de dévoilement, pour jouir de ce retour du pareil, qui chaque fois (avouons-le) nous fait dresser les cheveux sur la tête, tandis qu'une sueur glacée perle à notre front." 2 Et Eco de citer fidèlement, intégralement au fil de cinq pages les épisodes en question. 3 Mais quelques pages seulement plus haut, Eco réprouvait la mécanique grossière d'un roman dans lequel les "personnages frémissent, ou pâlissent, ou essuient de grosses gouttes de sueur coulant de leur front." 4 Cette reprise délibérée de vocabulaire met d'emblée dans le même sac les sentiments stéréotypés des personnages et ceux du lecteur, qualifié cependant d'averti. Tout porte à croire qu'Eco trouve les raisons de la popularité du roman dans le principe de l'identification du lecteur avec Monte-Cristo d'un côté, et de l'autre, dans une narration où "Mélo et [End Page 43] Kitch frôlent le sublime par la vertu de l'excès." 5 L'écriture dumasienne captive donc dans la mesure même où elle est excessive, exubérante; et il n'est pas si facile, en dernière analyse, de séparer les effets de la structure de ceux de l'écriture.

Centrant son analyse sur la stratégie du roman-feuilleton, en tant qu'il met en scène la figure du "surhomme," Eco s'intéresse peu au fonctionnement narratif de la vengeance autour de laquelle s'articule de toute évidence l'architecture du Comte de Monte-Cristo, et cela tout en avouant sa fascination pour le dévoilement du vengeur. Or, l'excès sur lequel insiste le critique ne se manifeste pas seulement à travers des récurrences stylistiques. Il est absolument inséparable du programme narratif de la vengeance. Eco revient d'ailleurs sur la "valeur structurale" des passages cités pour justifier leur longueur par les attentes du lecteur et l'imaginaire collectif du narrataire. Qu'elle le veuille ou non, l'analyse d'Eco touche à la dimension excessive du mécanisme vengeur. Monte-Cristo sera en fait le premier à interroger les valeurs d'une vengeance qui déborde le cadre de sa propre logique interne, réglée pourtant (le texte ne cesse de le rappeler) sur le mode de la justice distributive. Eco lui-même reconnaît que "les horribles intempérances stylistiques ont une valeur structurale" et que "le roman dumasien est une machine à produire de l'agonie, et ce n'est pas la qualité des râles qui compte, c'est bien leur longueur." 6 Dès lors, on pourrait suggérer un parallèle et même une réciprocité entre la profusion stylistique...

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