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  • Robespierre, monstre-cadavre du discours thermidorien
  • Antoine de Baecque

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Plate 1.

La Nuit du 9 au 10 thermidore an II, gravure par Tassaert, d’après Harriet. Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, Collection de Vinck.

Lorsque, à 2 heures 30 du matin durant la nuit du 9 au 10 thermidor an II, dans la salle du conseil de Paris, une balle traverse la machoire de Maximilien Robespierre, commence l’agonie de l’Incorruptible (Plate 1). Celle-ci dure plus de dix-sept heures, hantant divers lieux, jusqu’à la fosse commune du cimetière des Errancis, près du parc Monceau. A 3 heures 30 du matin, on annonce à la Convention, en état de délibération permanent, que le “monstre maîtrisé” peut paraître devant elle. L’assemblée refuse, et Robespierre, dont l’état physique empire, est porté sous escorte dans la salle d’audience du Comité de Salut Public. Là, il est couché sur une table où les curieux sont susceptibles de venir le regarder. A 6 heures du matin, deux chirurgiens nettoient ses plaies et le pansent. A 11 heures, les conjurés sont transférés à la Conciergerie. Après une courte procédure judiciaire, et sur une simple reconnaissance d’identité, ils sont condamnés à mort. Mais le chemin vers la guillotine est à la fois rapide et ralenti, puisque les robespierristes patientent encore sept heures à la Conciergerie, où Robespierre est de nouveau allongé sur une table. Ses forces le quittent peu à peu. Ce n’est qu’à 6 heures du soir, le 10 thermidor an II, que trois charettes, portant vingt-deux condamnés à mort, s’ébranlent vers la Place de la Révolution où a été dressé l’échafaud. Les parcours est lent, car le public est extrêmement nombreux le long du trajet, et les haltes sont répétées. A 7 heures 30, enfin, le supplice des vingt-deux robespierristes s’achève, Robespierre lui-même étant exécuté l’avant-dernier.

Immédiatement, un récit de cette agonie s’est constitué, contradictoire, méticuleux ou déformé, précis et imprécis tout à la fois, dans les journaux, les brochures, les rapports des conventionnels et des commissions d’enquêtes, grâce aux procès-verbaux et aux témoignages des différents acteurs de l’événement. Le corps meurtri de Robespierre, matière de ces récits et de ces témoignages, devait permettre d’édifier tel un spectacle physique et moral. C’est ce tableau, composé par les mots de ces récits nombreux, que je désire placer au cœur de cette étude, le tableau d’un monstre-cadavre. Cette volonté d’édification n’est pas, en elle-même, surprenante, puisque le sujet s’y prête, recomposant une parabole classique: le tyran réduit, hanté par ses fautes, puni par là où il a fauté, c’est-à-dire par la souffrance imposée au corps de la communauté. Plus étonnant est ce désir sans cesse affirmé de visualiser la scène, de la peindre, [End Page 203] d’en proposer un tableau, alors qu’aucune image notable ne vient illustrer l’agonie de Robespierre avant le milieu du siècle suivant. Par contre, les récits de ces scènes sont innombrables. Ils se présentent tous comme des “tableaux,” comme des dispositifs de visualisation forgés par les mots. Ainsi, cette “cage de Robespierre” à travers les barreaux de laquelle les deux derniers mois de l’Incorruptible sont donnés à voir grâce aux changements successifs et dégradés de son état physique. Cette cage est située, comme il se doit, aux enfers: “Pluton voulant procurer aux habitants des enfers la satisfaction de voir, quand ils le jugeront à propos, l’homme ou plutôt le monstre qui aurait détruit l’espèce humaine s’il eut été encore un an à la tête de la République française, l’a fait enfermer, tout comme il était sur son échafaud, dans une loge grillée où chacun peut le voir à son aise.” Danton, accompagné de Desmoulins, vient contempler ce spectacle...

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