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  • Le projet d’une charte de la laïcité : les raisons d’un sain scepticisme
  • Jocelyn Maclure1 (bio)

La philosophie politique se trouve à l’intersection du fondamental et de l’historique. Sa quête des principes qui devraient se trouver aux fondements de nos institutions communes est souvent motivée au moins partiellement par les urgences sociales du moment ; pensons à La République de Platon et au Léviathan de Hobbes. Malgré leurs désaccords, Michael Walzer et John Rawls s’entendaient sur une chose : la philosophie politique trouve le plus souvent son impulsion dans les désaccords profonds entre citoyens, ceux qui mettent la coopération sociale à l’épreuve. Comme l’écrit Rawls au sujet de l’utilité des conceptions philosophiques abstraites :

En philosophie politique, le travail de l’abstraction est motivé par des conflits politiques profonds. […] Nous nous tournons vers la philosophie politique quand nos interprétations politiques communes, comme dirait Michael Walzer, s’écroulent et également lorsque nous sommes déchirés en nous-mêmes […] Le travail de l’abstraction n’est donc pas gratuit ; il ne s’agit pas de l’abstraction pour l’abstraction. C’est plutôt une façon de continuer la discussion publique quand les interprétations communes de moindre généralité ont échoué. Nous devrions reconnaître que plus le conflit est profond, plus le niveau d’abstraction que nous devons atteindre est élevé jusqu’à ce que nous ayons une vision claire et nette de ses racines2.

Or, la laïcité divise les citoyens et les partis politiques du Québec. Des conceptions conservatrices, républicaines, libérales et pluralistes [End Page 155] s’affrontent. Le débat est moins explosif et un peu plus raisonné qu’avant les travaux de la Commission Bouchard-Taylor en 2007–2008, mais la société québécoise demeure divisée sur cette question. D’un point de vue institutionnel, la laïcité ouverte est toujours celle qui est à l’œuvre, mais elle est remise en cause par le parti au pouvoir, le Parti Québécois (PQ). Celui-ci s’est engagé, lors de la récente campagne électorale, à adopter une charte de la laïcité. Celle-ci, qui viendrait rejoindre la Charte des droits et libertés et la Charte de la langue française dans le firmament des normes publiques fondamentales de l’État québécois, aurait deux principales fonctions : affirmer la neutralité de l’État québécois eu égard aux religions, et établir la primauté de l’égalité entre les hommes et les femmes par rapport à la liberté de religion3. Pour le PQ, l’affirmation de la neutralité religieuse de l’État aurait comme corollaire nécessaire la prohibition du port de signes religieux visibles par les agents de l’État. Dans le communiqué où sont énoncés les principes d’une éventuelle charte de la laïcité, le PQ soutient que le Parti libéral, lorsqu’il était au pouvoir, n’a rien fait pour répondre aux préoccupations des citoyens au sujet des demandes d’accommodement et pour donner suite aux recommandations de la Commission Bouchard-Taylor, qui a terminé ses travaux en 2008. L’adoption d’une charte de la laïcité serait l’une des réponses principales du PQ au débat toujours non résolu sur la laïcité et les accommodements raisonnables.

Quatre raisons devraient nous inspirer un sain scepticisme par rapport à une telle initiative. D’abord, le Québec n’a pas besoin d’une charte de la laïcité. L’État québécois est déjà laïque et, ce faisant, neutre eu égard aux religions. Deuxièmement, l’initiative du PQ alimente la fausse perception voulant qu’il y ait péril en la demeure et que les principes et rouages de notre culture publique commune soient insuffisants pour aménager correctement la diversité morale et religieuse du Québec contemporain. Ensuite, la conception substantielle de la laïcité esquissée jusqu’ici par le PQ repose sur une philosophie erronée des droits et libertés de la personne, laquelle transparaît dans la hiérarchie défendue par le...

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