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  • Silencing the Past ou faire taire le passé dans la fiction : Un Compte-rendu de thèse1
  • Claudy Delné

On s’approche de la deuxième décennie de la parution de l’ouvrage phare de Michel-Rolph Trouillot, Silencing the Past: Power and the Production of History, qui est devenu presque un cliché tant il a alimenté la critique, généré de saines controverses, bousculé les certitudes et semé le trouble dans les sciences sociales. C’est avec certitude qu’on peut affirmer que Silencing the Past est l’un des ouvrages les plus lus de Trouillot en raison de la complexité des questions ontologiques qu’il soulève dans la formation des processus historiques et la nécessaire mise sur sellette de l’Occident comme fiction et projet.

On n’a qu’à répertorier la littérature universitaire (articles, ouvrages, thèses) depuis la sortie de l’ouvrage en 1995 pour constater la notoriété de Trouillot et la validation de l’autorité de son œuvre par la reconnaissance tacite ou explicite de ses pairs du milieu académique. La pléthore de critiques et le nombre de thèses de doctorat dont Silencing the Past a fait l’objet témoignent de l’impact et de la pertinence de l’œuvre et de la pensée de Trouillot. D’un point de vue personnel, la réflexion que livre l’auteur dans cet ouvrage-manifeste a révolutionné mes vues sur l’histoire comme discipline scientifique. L’influence, entre autres, de l’École des Annales2 et du mouvement de la Nouvelle Histoire en France a été déterminante dans ma conception figée de l’histoire comme porteuse de vérité. La lecture de Silencing the Past a été ma catharsis, un des temps forts de mon cheminement intellectuel.

Ma thèse de doctorat porte en partie sur Silencing the Past et elle est liée à cette histoire personnelle. Elle est le fruit d’une maturation qui a obligé un changement de paradigme. Elle représente l’histoire de mon itinéraire académique et professionnel, depuis mes études en histoire à l’exercice du métier d’enseignant d’histoire, voire d’apprenti historien jusqu’aux études doctorales en littérature. Je croyais de façon péremptoire, durant mes années de formation, que l’histoire était détentrice de vérité et que, par-delà le document, il n’y avait point de salut. C’est dire que [End Page 127] j’avais l’intime conviction que la preuve documentaire était la mesure de l’histoire. Tout autre mode de représentation du réel ne relevait que de la fantaisie. Ma rédemption, j’ose le dire, est née avec mes études littéraires et ma lecture de Silencing the Past en 2004. Trouilot a énormément contribué à ma compréhension de la fiction de l’histoire et de l’histoire dans la fiction, en offrant à travers son étude historiographique, une vibrante interrogation du passé. Son examen judicieux du meurtre du général Sans-Souci et de l’érection du Palais portant son nom par le roi Henry Christophe démontre comment « le passé s’efface par les silences »3 et illustre, du même coup, l’occultation du rôle des bossales (des Africains) dans la Révolution haïtienne.4

L’analyse qu’a faite Trouillot dans Silencing the Past sert donc de fondement à ma thèse. Trouillot montre comment le passé peut être bâillonné dans les textes historiques, comment les silences entrent dans le processus de production historique à partir de quatre moments :

  1. 1. Le moment de la création/production de faits ou fabrication des sources,

  2. 2. le moment de l’assemblage des faits ou la fabrication des archives,

  3. 3. le moment de la récupération des faits ou production des récits, et

  4. 4. le moment de la signifiance rétrospective ou production de l’histoire en dernière instance. (SP 26)

Pour Trouillot, ces différents silences qui s’opèrent à chaque étape du processus de production historique touchent essentiellement à l’historiographie ou au récit historique. Il soutient que la R...

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