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  • Bonaventure, commentateur de l’Apocalypse Pour une nouvelle attribution de Vox Domini
  • Alain Boureau (bio)

Je propose ici une hypothèse radicale, mais fragile: le commentaire sur l’Apocalypse désigné par son incipit Vox Domini, qui a été édité1 dans les Opera omnia de Thomas d’Aquin, avant d’être rejeté du corpus authentique, serait l’œuvre de Bonaventure. Je ne peux présenter aucune preuve absolue, mais un ensemble de probabilités ou de convergences.

L’enjeu est de taille pour trois raisons: cette œuvre longue (environ 200.000 mots) a forcément occupé longuement Bonaventure et l’histoire de sa carrière doit être revue. Ensuite, le commentaire permet d’avoir une vue plus claire des rapports de Bonaventure avec l’eschatologie de son temps. Enfin, l’indifférence sidérante des historiens aux contenus de Vox Domini devrait attirer notre attention sur le fait que les commentaires exégétiques sont des œuvres situées dans l’histoire et requièrent donc une lecture intégrale et minutieuse, alors qu’ils ont trop souvent fourni les simples fragments d’une perception intemporelle et globale de l’interprétation.

Je vais donc explorer l’histoire éditoriale du commentaire, avant d’examiner sa composante franciscaine, puis de signaler l’harmonie de certains thèmes spécifiques avec la pensée de Bonaventure. Que le lecteur me pardonne le détail de certaines analyses, nécessaire en cette matière délicate. [End Page 139]

I. Histoire éditoriale de Vox Domini

Le texte de Vox Domini paraît advenir brusquement en 1869 dans l’édition, par Pietro Fiaccadori, du tome 23 des Opera omnia de Thomas d’Aquin, au nombre des opera dubia. Mais, de son propre aveu, l’éditeur ne faisait que reprendre, pour ce texte, une édition ancienne de Florence. Cette édition de Vox Domini en un volume au format in-8° qui se composait de 654 pages (sans les pièces liminaires ni les indices), fut produite en 1549 par l’imprimeur Laurent Torrentinus.2

Mais le mystère s’épaissit, car rien ne semblait disposer Laurent Torrentinus à publier un texte attribué à Thomas. Originaire du Brabant sous le nom de Laurens van den Bleeck, il avait œuvré à Anvers, Bâle, Lyon, puis Venise, avant de s’installer vers 1532–1533 à Bologne. Il avait acquis une réputation telle que le duc Cosimo de’ Medici l’invita en 1546 à Florence où il ouvrit ses presses comme imprimeur du duc en 1547 à Garbo, près de l’église Saint-Romulus. Il produisit 275 livres différents, entre 1548 et 1563, soigneusement recensés en 1811 par Domenico Moreni, chanoine de Saint-Laurent à Florence.3 Il est probable que cette description détaillée, indexée en fin de volume en une liste qui mentionnait Thomas d’Aquin,4 attira l’attention des éditeurs de Parme.

Or, le texte de «Thomas» est tout à fait unique dans cette production qui publie surtout des œuvres poétiques d’humanistes toscans, dont Giovanbattista Gelli, très largement représenté, des livrets de cérémonies et des chroniques comme celles de Villani, Vasari, etc. Les trois volumes de traduction en toscan d’Aristote donnent le texte de l’Éthique (à deux reprises) et celui de la Poétique et de la Rhétorique (en un volume), ce qui paraît plus lié à cette orientation [End Page 140] humaniste qu’à une volonté d’accompagner Thomas d’Aquin. La dévotion chrétienne n’est guère représentée que par une traduction des Dialogues de Grégoire le Grand et un livret sur la translation de saint Romuald, publié en 1563, ce qui est fort peu en cette vaste production.

L’édition de Torrentinus donne une indication précieuse dans sa dédicace au duc Cosimo de’ Medici:

mais, bien que je ne puisse ni ne doive rien offrir venant de moi ni de mon entreprise, pourtant, en ces débuts encore très difficiles et dans la dure condition des temps, il nous a paru bon de montrer ce modèle (specimen), du fait que les gens de Pérouse, soit qu’ils soient attirés par l’élégance des...

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