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Reviewed by:
  • Archiver l’anarchie. Le capital de 1969. Essai by Jacques Julien
  • Daniel Laforest (bio)
Jacques Julien, Archiver l’anarchie. Le capital de 1969. Essai, Montréal, Triptyque, 2010, 142 p., 22$

Ce livre est un objet curieux. D’abord parce qu’il est identifié comme essai mais que son auteur vers la fin le qualifie de « dossier », faisant planer sur [End Page 824] l’ensemble une impression un peu maniaque d’enquête, voire d’inventaire. En outre parce qu’il trouve un angle neuf sur un sujet dont l’importance arbitraire (1969? Pourquoi pas 1968?) rivalise avec la dégradation quasi achevée de son caractère symbolique (on a tout dit sur le peace and love, sauf justement combien c’est un poncif journalistique). Angle neuf parce que l’objectif du livre de Jacques Julien tel qu’exprimé ouvertement en introduction consiste à explorer la « collision » de l’anarchie, entendue comme « refus de toute autorité », et de l’archive. En d’autres termes, il s’agit d’explorer un devenir historique de ce qui fondamentalement devrait sinon tourner le dos à l’histoire, du moins s’y opposer par toute la force de ses moyens. En effet dès qu’on commence à parler de l’anarchie, on est hors d’elle. Comme l’écrit Julien à la suite de son héros Léo Ferré, l’anarchie est plutôt « une émotion ». La tâche d’en saisir tous les contours dans la langue et dans l’histoire est donc condamnée d’avance. Mais insistons sur l’article indéfini. C’est d’un devenir historique qu’il est question, et c’est là un premier caractère atypique du livre de Julien. Non pas un devenir parmi d’autres, mais au contraire un destin net, pourvu d’enjeux spécifiques, et qui ouvre sur des questions à l’acuité assez tranchante. Le capital dont parle le sous-titre est la récupération médiatique de l’anarchie sous forme de document pourvu moins d’une valeur culturelle que d’une valeur d’usage fétichiste, et donc consumériste. Pour préciser l’affaire, et aussi parce que c’est là son domaine de prédilection, Julien a choisi de mener cette lecture critique à travers le prisme de la musique populaire anglophone et francophone telle qu’elle existait à la fin des années 1960.

Comme c’est souvent le cas de livres émanant d’une intelligence pointilleuse, exhaustive, bref archivistique, il faut chercher ici sous les mots pour saisir de quoi il en retourne vraiment. Quand Julien dit anarchie, il faudrait donc entendre plutôt événement, et là où il dit archive il conviendrait mieux d’entendre technique. Ajoutons un troisième terme pour rendre justice à la vision de l’auteur : derrière 1969, il faudrait sans doute entendre aussi autopsie. C’est-à-dire le travail sur un corps qui, parce qu’il subsiste comme document, préserve en même temps qu’il trahit l’esprit de ce qui l’avait fait vivre. 1969 est partout en images et en discours; mais voilà pourquoi 1969 n’a plus jamais lieu. Son esprit s’est dissolu dans l’accumulation de ses représentations, et surtout dans le commerce de celles-ci. Cet esprit, cette essence de l’anarchie, nous dit un Julien très inspiré du Walter Benjamin de la reproductibilité technique, c’est le « commencement ». Ou plutôt les commencements puisqu’ils sont ici au nombre de trois. Trois événements à vocation plus ou moins utopique qui en 1969 auraient vu la musique populaire rencontrer l’anarchie au plus près. Mais trois événements qui, aussi, se sont prolongés dans le reflet affadi d’eux-mêmes : la rencontre à l’origine d’une photo iconique entre Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré, les bed-ins organisés par John Lennon et Yoko Ono, et le festival de Woodstock. [End Page 825]

C’est à ce stade que nous trouvons la deuxième cause de l’étrangeté du livre de Julien. Celui-ci montre un déséquilibre entre la qualité des recherches dont il est le résultat, et le caractère...

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