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  • Moins que livres. Essai sur l’illisibilité : Du livre des lumières à la boîte de Cornell
  • Daniel Vaillancourt (bio)
Lorraine Piroux, Moins que livres. Essai sur l’illisibilité : Du livre des lumières à la boîte de Cornell, Québec, Nota bene, 2010, 216 p.

Comment vivre sans l’expérience plurimillénaire du codex ? Comment la pensée peut-elle s’incarner et se donner à voir sans qu’elle soit enfermée dans la clôture rassurante du Livre ? Au moment où l’amélioration technologique des supports numériques et des productions hypertextuelles annoncent ou devraient annoncer la désuétude du livre paginé, ces questions résonnent avec force et nous invitent implicitement à réfléchir sur [End Page 418] la relation entre les pratiques symboliques et la « contenance » du livre. L’ouvrage de Lorraine Piroux, Moins que livres. Essai sur l’illisibilité, fait de ces questions le cœur de son argumentaire. Non pas qu’elle adopte une forme différente du livre comme elle le reconnaît dans sa conclusion ou même qu’elle interroge les « moins que livres » de notre néomodernité. Plutôt elle campe son argumentation dans la culture des Lumières. Piroux favorise la notion de codex, ce qui lui permet de faire d’une pierre deux coups, soit montrer l’héritage antique classique de la forme livresque, soit laisser ouverte la notion de livre comme telle, faisant une place libre pour les mutations possibles que le livre, et non le codex, subira en raison des changements technologiques.

L’auteur, qui tient le séminaire de l’histoire du livre à Rutgers University, organise son propos en délimitant trois axes de réflexion : le premier tient à des considérations philosophiques et méthodologiques qui sont soulevées par la forme de l’objet-livre. Cette élucidation des conséquences épistémologiques du livre traverse l’ensemble du texte et se nourrit grandement des travaux de Roger Chartier. Le deuxième axe repose sur l’illisibilité, celle-ci étant au cœur de l’activité lecturale. Par l’entremise des discours de Diderot, Bernardin de Saint-Pierre et Graffigny, elle démontre comment en creux l’illisibilité du livre fait partie de son régime symbolique, soit quand la lettre prend une consistance suffisamment forte pour attirer sur elle, telle une force gravitationnelle, toute l’opacité sémantique de ce qui ressortirait de son message. Le troisième axe concerne l’envers de la question, à savoir l’idéal de la lisibilité absolue, tel qu’elle se met en place durant l’Ancien Régime, ayant son point culminant au XVIIIe.

L’essai est structuré comme un diptyque asymétrique. Les trois premiers chapitres traitent de textes littéraires du XVIIIe siècle et le quatrième, des boîtes-livres de l’artiste américain Joseph Cornell. Ce dernier chapitre se plie sur les trois autres, l’auteur voulant démontrer comment un livre devenu objet esthétique pose des problèmes similaires à ceux posés par les historiens du livre. Le chapitre représente à la fois une ligne de fuite argumentative, au sens où les objets ne font pas partie du même contexte historique ni de la même pratique esthétique. Mais le dénominateur commun demeure le travail sur la matérialité livresque, sur le rapport particulier, voire conflictuel, que le livre contient d’emblée, le travail de Cornell ne faisant qu’exacerber ce type de rapport trouble. À corpus défendant, l’auteur veut montrer que ce qui se dit sur le livre en tant qu’objet artistique vaut aussi pour la configuration conceptuelle du livre dans le champ littéraire.

Les chapitres sur Diderot, Bernardin de Saint-Pierre et Graffigny met-tent en relief des problèmes qui seront plus familiers aux lecteurs provenant de l’horizon littéraire. Bien qu’elle procède à de brèves analyses de Thomas More et de Rabelais, Piroux a choisi le XVIIIe siècle comme point [End Page 419] de départ pour de multiples raisons. D’une part, la culture des Lumières, prenant pied à l’intérieur du...

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