Une traversée des savoirs (review)

Disons-le d’emblée : il faut faire le voyage de la Traversée des savoirs, absolument. Il faut en suivre et goûter les paysages, en écouter les inspirations, en continuer les pistes et, surtout, en sortir plus sage et plus savant. Ce gros livre, en effet, est précieux pour l’enthousiasme et la chaleur de son contenu autant que pour la richesse et la rigueur de son propos scientifique. Accessible à un public de spécialistes, bien sûr, qui en apprécieront en connaisseurs les études se rapportant à leurs sujets, il est également – et là n’est pas son moindre mérite – accessible aux amateurs : spécialistes d’autres sujets ou, tout simplement, lecteurs curieux et exigeants. Bref, on l’a compris : l’auteur de ces lignes a lu comme un roman ce gros volume d’études, dont la plupart sont étrangères à son domaine de recherche, mais dont chacune est à la fois assez déliée et assez claire pour retenir l’attention et proposer une « traversée ». Livre de chevet et livre de travail, ce volume devrait figurer aux catalogues de toutes nos bibliothèques universitaires, d’abord pour la valeur scientifique de ces mélanges, mais aussi pour l’ouverture disciplinaire et l’inspiration de nouveaux centres d’intérêt qu’il suscitera. On y remarque les noms des plus grands savants – je n’en donnerai pas la liste ici, trop longue et de toute façon incongrue – comme ceux d’étudiants ou d’amis hors champ universitaire : cette diversité, à l’honneur de tous, fait du volume un lieu de rencontre entre mondes, générations, sujets et cercles.

Nulle autre collection n’eût mieux convenu pour la publication de ces abondants et généreux mélanges que celle de la République des Lettres aux Presses de l’Université Laval. En effet, les quelque trente-six articles, astucieusement et pertinemment répartis en six parties par les éditeurs, semblent la célébration et la représentation de notre République contemporaine des Lettres en humanités et en langue française : une communauté de savants dont la définition dépasse les disciplines – on y trouve, réunies et ordonnées, l’histoire de la médecine, l’histoire de l’art, la philologie classique, la poésie latine, la psychanalyse, la psychiatrie, les peintures rupestres, la grammaire médiévale, l’éthique médicale, la linguistique, la musicologie, la numismatique, la philosophie et encore bien des matières, simples ou composées, qui touchent à la vie de l’esprit et des traditions – et dont le trait commun est l’enquête patiente et passionnée sur les œuvres littéraires, scientifiques, artistiques. Ce sont le talent et le travail des éditeurs qui font de ce bouquet de textes, non pas une succession sans lien, mais un dialogue, entrecoupé de rêveries, entre les différents objets et les diverses méthodologies. Six grands titres organisent la masse d’articles et de thèmes en une « traversée » sans à-coup et assez chatoyante pour que les 750 pages de texte semblent légères. Néanmoins, ce qui rend cet ouvrage exceptionnel, c’est l’impression d’amitié que perçoit le lecteur dans chaque ligne : sans mièvrerie ni formules, le volume est littéralement inspiré par Jackie Pigeaud. Et l’on sort de cette lecture émerveillé non pas tant de la qualité, bien réelle, des textes, que de l’esprit de l’ami, collègue et maître : certains articles se réfèrent explicitement aux travaux de Jackie Pigeaud, d’autres à ses méthodes, d’autres enfin aux circonstances de rencontres ou collaborations. Tous, néanmoins, portent trace de la lumière de ce contact, personnel, professionnel ou intellectuel avec un grand...