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Reviewed by:
  • La grande tribu. C'est la faute à Papineau. Grotesquerie
  • Jimmy Thibeault (bio)
Victor-Lévy Beaulieu , La grande tribu. C'est la faute à Papineau. Grotesquerie, Éditions Trois-Pistoles, 2008, 875 p.

La grande tribu, Victor-Lévy Beaulieu l'annonce depuis 1973. Il aura fallu à l'auteur sept versions de mille pages chacune répartie sur une période de près de trente-cinq ans avant de trouver le ton juste à cette remarquable « grotesquerie » qui porte un regard troublant sur ce qu'il reste de la mémoire et de l'imaginaire révolutionnaire du Québec. Le roman, qui devait d'abord s'inspirer de la figure de Louis Riel (comme on le constate notamment dans l'extrait inédit publié dans Tangence en 1993), puise finalement la matière de son discours révolutionnaire dans la mémoire de Louis-Joseph Papineau, personnage historique à qui est attribuée la faute à l'origine de la division nationale du « Kebec ». La présence de Papineau est d'ailleurs constamment marquée dans le récit par cette chanson au refrain évocateur que le narrateur, Habaquq Cauchon, n'arrive pas à se sortir de l'esprit, et qui reprend le sous-titre du roman : « C'est la faute à Papineau/C'est la faute, faute, faute,/C'est la faute à Papineau ! » De quelle faute s'agit-il ? Celle d'avoir nommé les injustices sociales que les Anglais faisaient subir aux Canadiens français ? d'avoir mené ces derniers à la rébellion ? ou celle, plutôt, d'avoir refusé de passer de la parole aux actes en rejetant l'idée d'un soulèvement armé, croyant jusqu'à la fin que la libération passerait par la force du discours politique ? Dans tous les cas, il semble bien que ce soit la parole elle-même - dérangeante pour les uns, trop pacifique pour les autres - qui ait marqué la figure de Papineau d'une faute irréparable, mais, selon le narrateur, combien nécessaire. Dès lors, la faute ne peut être que d'ordre institutionnel puisqu'elle vient rompre le discours normatif des institutions au pouvoir, qu'elle se libère du regard de ses censeurs et qu'elle exprime une vérité jusque-là refoulée. Aussi, le personnage de [End Page 127] l'orignal épormyable, qui rappelle la figure de Claude Gauvreau, enseigne au narrateur que la liberté s'acquiert d'abord par la prise de parole, par le discours qui refuse les lieux communs que tentent de lui imposer les institutions qui ont le pouvoir de la censure. La grande tribu, par la fable grotesque d'une révolution menée par des lésionnaires (des personnages stigmatisés par le pouvoir à partir des traces physiques de leurs différences), se défait donc des normes littéraires en libérant le langage de sa camisole de force pour explorer, à travers la quête d'une mémoire et d'un imaginaire originels, l'histoire inachevée d'un peuple encore à définir.

Pour soutenir cette fable révolutionnaire, Beaulieu a divisé son roman en neuf parties où alternent les figures réelles de libérateurs, tous contemporains de Papineau, et celles, fictives, des lésionnaires. Les parties consacrées aux libérateurs racontent l'histoire de huit grands révolutionnaires du XIXe siècle (Daniel O'Connell, Simon Bolivar, Louis-Joseph Papineau, Jules Michelet, Charles Chiniquy, Abraham Lincoln, Hong-Sieou-Tsuan dit Shang-Ti et Walt Whitman) qui ont en commun une maîtrise parfaite du discours. Car si ces personnages ont pu avoir un impact certain sur leur époque et sur leur peuple, c'est d'abord et avant tout par la force d'une parole rassembleuse, qu'ils ont su utiliser comme une arme libératrice. Cette parole ne surgit cependant pas de nulle part, elle a une origine, elle s'inscrit dans une réflexion que le roman retrace depuis l'enfance de chaque personnage jusqu'à leur mort. Aussi, c'est dans la conviction et la volonté de ces hommes à briser les injustices ainsi que dans les actes qu'ils sont prêts à assumer pour la cause que le discours prend v...

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