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  • L'humour avec soi. Analyse sémiotique du discours humoristique et de la supercherie chez Gary-Ajar
  • Jean Fisette
Christian Morin , L'humour avec soi. Analyse sémiotique du discours humoristique et de la supercherie chez Gary-AjarQuébec, Éditions Nota bene, coll. Sciences humaines / Littérature, 186 p.

Christian Morin se donne comme objet d'étude le corpus des quatre romans que Romain Gary a écrits et publiés vers la fin de sa carrière d'écrivain sous le couvert du pseudonyme d'É mile Ajar: Gros-Câlin (1974), La vie devant soi (1975), Pseudo (1976) et L'angoisse du roi Salomon (1979). L'auteur de cette étude a eu la sagesse de prendre en compte la pluralité des niveaux d'intervention de Gary en donnant la représentation de lieux multiples de signification dans une facture semblable à une pâte feuilletée: c'est dire que l'objet de l'analyse va du moindre jeu de mot à la question de la supercherie concernant la paternité des œuvres en cause. J'ai suggéré une «sagesse» dans la mesure où l'originalité de cette entreprise de Gary – c'est ce que démontre l'auteur – tient précisément à une telle stratification des processus de signification.

Les quatre romans sont convergents dans la mesure où ils partagent une même stratégie d'énonciation: tout tourne autour d'un personnage, [End Page 627] baignant dans la culture urbaine de Paris et qui est originaire d'un pays étranger (ou appartenant à la seconde génération), dans la majorité des cas, un pays arabe; ce personnage narrateur du récit, raconte les événements de la vie quotidienne la plus banale à mesure de leur déroulement. Donc, en l'absence de toute distance d'ordre narratologique, la parole est immédiate, collée aux personnages, aux choses, aux événements; mais cette parole est celle d'un personnage qui ne maîtrise par le français, d'où la création, malgré tout, d'un écart qui, au lieu d'être de nature temporelle (le temps ultérieur de la narration), sera celui d'un écart sur le plan de la compétence linguistique et sera surtout révélateur d'un décalage d'ordre économique et social. Le texte du récit, donné comme une communication à un allocutaire aussi personnage du roman, devient donc le lieu d'une image de la vie parisienne, mais vue d'en dessous, dans les lieux de carence et de misère, entraînant une inversion des valeurs. On se souvient tous du personnage de Momo, jeune beur narrateur au centre de La vie devant soi.

La situation est donc celle d'un personnage décrivant des conditions de vie misérable, mais dans une langue telle que ces difficultés de vivre sont rééquilibrées par une langue humoristique: la langue de la narration, carencée en raison de l'acculturation du personnage narrateur, se profile sur un fond de scène habité par l'énonciateur – auteur Ajar – Gary; et alors, les décalages, les avancées, les clins d'œil, les allusions permettent une «fête de l'humour». Comme le suggère Morin, dans la représentation de ce petit univers, «le malheur est changé en plaisir par les jeux de langage».

Cette situation permet à Morin de procéder à de fort intéressantes analyses de discours consacrées aux conditions de l'humour (soigneusement distingué des formes voisines) suivant lesquelles, par exemple, dans un tel contexte le SA linguistique en plus d'être corrélé à un SÉ canonique ouvre la voie à des «SA inhabituels» ce qui, précisément permet d'ouvrir le discours social au delà des limites canoniques. C'est ainsi, comme le suggère l'auteur, que «la langue elle-même, reflet des rapports sociaux, se trouvant critiquée, constitue en quelque sorte une mise en abyme du processus humoristique». J'ajouterais une mise en abyme des rapports sociaux; car tel est le point de vue de l'auteur de cet ouvrage au fondement de cette analyse: la déstructuration de la langue, permettant des avancées vers des lieux imaginaires...

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