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  • L’œil sans paupière. Écrire l’émotion pornographique
  • Claudine Potvin (bio)
Christian Saint-Germain, L’œil sans paupière. Écrire l’émotion pornographique Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université du Québec, 2003, 89 p.

L'œil sans paupière. Écrire l'émotion pornographique de Christian Saint-Germain se donne sous forme d'une trentaine de brefs chapitres qui constituent autant de réflexions philosophiques sur le regard et l'émotion pornographiques. La brièveté des chapitres crée un certain effet de fragmentation certes, mais l'argumentation continue et le flot verbal de l'essayiste d'une efficacité absolue effacent cet effet de coupure. En effet, l'auteur construit son livre en spirale, développant son sujet d'une page à l'autre, créant des liens d'une promenade à l'autre. Ses phrases, très souvent nominales ou verbales, obligent constamment le lecteur à relire et à repenser le texte. Par ailleurs, l'auteur se penche sur l'écriture de son livre et tend à situer son travail dans une forme d'autoréflexivité, se réclamant en quelque sorte de ce qu'il nomme « la dérive d'écriture ». En ce sens, loin de nous éloigner de la pensée et de la démarche de ce dernier, la dérive ajoute à la rigueur du sujet.

Si l'œil et la plume de l'auteur s'attardent parfois sur la scène pornographique (corps nus de femmes, gestes obscènes, poses grotesques, fluides, [End Page 159] éjaculations, excitations), il ne faut pas s'attendre à un regard descriptif et moraliste de l'image et du lieu pornographiques. Ici, la caméra passe par un discours sur l'économie sociale, soit le rapport au réel (pensé en termes de résultat d'un traitement d'information) et à l'achat car, selon Saint-Germain, « la pornographie est une métaphore du fonctionnement de la monnaie même ». Dans l'avant-propos de L'œil sans paupière, nous lisons que « cet essai vise à déconstruire l'usage du terme pornographie pour désigner l'exploitation ou l'exposition de parties du corps, des organes sexuels. Il marque la dénonciation de la localisation organique de ce qui paraît placer le spectateur dans l'inconfort de l'indécent. Non seulement la société de consommation est un immense dépotoir d'images, de jouissances, de corps, d'ordures de toutes sortes, mais elle n'a plus la capacité morale de distinguer entre celles-ci lesquelles méritent d'être montrées ou non. »

Dans cet essai, Claude Saint-Germain propose un commentaire, de nature éthique et esthétique, sur le pornographique, dans le contexte de l'univers de consommation et de la modernité. Il s'intéresse tout particulièrement à l'image (publicitaire ou autre) et à l'effet pornographique de l'industrie médiatique. Comme il le souligne, « ce que donne à voir l'univers de l'information constitue une pornographie bien plus inavouable que les images de cette industrie spécialisée. ». Or, l'auteur s'interroge en ces termes : « Suffit-il de se défendre d'écrire un livre d'éthique sur la pornographie ? » Nul doute que la pornographie échappe à son cantonnement, à l'arrière-chambre du magasin de vidéo. Au plan éthique, « on ne peut cloner, inséminer, jeter le matériel d'expérimentation sans vergogne pour ensuite feindre l'étonnement à l'égard des imaginaires individuels confectionnés à même les écrans ». On aimerait penser que les images pornographiques ne nous intéressent pas. On aimerait se situer hors du cadre, au cœur d'un discours intellectuel qui voit le corps et l'amour hors-sexe. On repense également l'inacceptable en fonction du beau et du laid. Au plan esthétique, « il n'est de pornographie que dans l'art de la découpe des plans, des arrêts », gros plans de visages ou de sexes. Ici, le corps fait image. « L'architecture du monde pornographique, édifice d'images, galeries, dessine la frise monumentale d'un art moderne cruel, indifférent. Mésaventure de madones. Franchise du moment de la vente, abandon brutal de l'échelle graduée des prostitutions quotidiennes...

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