Roman

Lettres canadiennes 2000 SOUS LA DIRECTION DE MICHEL LORD Roman PIERRE KARCH L'univers du roman, pour reprendre l'expression heureuse de Roland Bourneufet Real Ouellet, est pollue, faut-il admettre au risque de deplaire aplusieurs. II se publie, en effet, quantite de livres qui ne devraient pas sortir en librairie pour des raisons purement litteraires, dont la principale est la banalite des propos alaquelle correspond celie de l'ecriture que I'on qualifie Ie plus souvent par l'expression ambigue, «style depouille». Cela dit, I'annee 2000 n'a pas He plus mauvaise que les precedentes. II s'ecrit toujours d'excellents romans, surtout par des auteurs qui ont du talent nourri de nombreuses lectures, et qui ant acquis du metier en travaillant leurs textes pour leur donner cette lumiere propre auxchefs-d'reuvre. C'est sur eux qu'il faut s'attarder, et c'est, apart quelques rares exceptions, ce que nous avons fait. DR AMES FAMIUAUX Christiane Frenette a publie de la poesie dont Indigo mlif (Lemeac), prix Octave-Cremazie (1986) et un roman, La ferre ferme (Boreal), prix du Gouverneur general (1997). Des la premiere page de La 'Hlit entiere (Boreal), Ie lecteur est fixe: «Novembre. Le milieu de I'apres-midi. Les nuages, qui regnent en maitres depuis deux jours, capitulent. La lumiere cherche sa voie, tente une percee. [...] Ie silence. Celui d'une route forestiere ou personne ne passe [...]. Un decor ou inscrire la vie.» Tout est dit dans cet incipit: Ie temps, Ie lieu, Ie ton - poetique -, I'action, car cette lumiere, on l'aura compris, est a!'image du personnage principal, Jeanne, qui, ala fin du livre se retrOllve «seule sur la piste», qu'eIle soit eclain~e au non. On ne peut que louer la fine ecriture de la romanciere-poete qui met en scene une galerie de personnages vulnerables, tous plus ou moins atteints par une serie de« balles perdues », chacun vivant son drame sous un ciel indilferent , un ciel qui, «lui, ne souffre pas», Comment faire face au suicide de sa mere qui a simplement ecrit, sur un bout de papier, «un petit mot comme on en laisse avant de partir pour UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 71 , NUMBER 1, WINTER 20CH / 2 410 LEITRES CANADIENNES 2000 I'ecole, I'atelier, I'epicerie, ou n'importe oU. je n'en peux plus Cest ecrit comme ,a, pas de majuscule, pas de point, pas de signature. Ce petit mot, ce n'est pas un petit mot, c'est un veritable roman». Et ce roman, rai froid aux yeux (XYZ editeur), Ie cinquieme de Marie Auger, alias Mario G., alias Mario Girard, se lit comme aucun autre, entre Ie delire verbal et la folie consommee, des la premiere page qui commence ainsi: «Je suis enfermee dans Ie frigo [...]. Je ne veux pas finir legume dans Ie bac alegumes. Je veux rester vivante, en dehors du bac aviande.» Le second roman de Jocelyne Saucier, Les heritiers de la mil1e (XYZ editeur), s'ouvre sur une question: "Quand Ie vieil hibou aux dents vernissees de nicotine a pose la question, fai cru que naus etions partis pour Ie folklore ». Le premier narrateur, Le Pion, est Ie vingt et unieme et dernier enfant d'une famille qui habite une ville miniere, au nord du Quebec, disons en Abitibi, pays de I'auteure. Puis c'est Camille qui prend la parole avant de la ceder a"EI Taro, Lucien de [son] vrai nom». Suivent d'autres narrateurs, chacun apportant son temoignage jusqu'a ce qu'on arrive a decouvrir ce qui s'est passe {( ce jour-la )). Roman dacumente qui se termine sur des remerciements, ce qui nous fait passer d'un genre a un autre, soit du roman aYessai. L'enfant de tout a[,heure (L'Interligne) de Michel Dallaire est aussi Ie titre de la premiere exposition solo d'Angele, une exposition qui devait durer un mois dans Ie restaurant d'Antonio, aSudbury, et qui ne s'est meme pas rendue aI'heure du vernissage, tous les tableaux ayant ete abimes par une seule cartouche qui traverse les vingt-quatre toiles. "Interessant comme titre», dit l'enqueteur Steinmetz de la police regionale qui...