Dire le livre. Portraits de l'écrivain en prophète, talmudiste, évangéliste et saint by Anne Élaine Cliche (review)

SCIENCES HUMAINES 445 sant ses lois». Entin, en s'appuyant sur la narratologie de Genette, Nadia Tangorra met au jour Ie role structurant de la compulsion de repetition dans Homme invisible afa fenetre de Monique Proulx, compulsion qui mime Ie handicap du personnage principal et qui texture 1a focalisation. Si les articles presentE~s dans ce recueil sont ·d'une inegale qualite (certains «plaquent» lith~ralement les grilles lacaniennes sur leur objet litteraire), il faut remarquer pOtUtant un eIfet singulier partage par taus, c'est-a-dire une sorte de rhetorique maladroite sur les precautions a prendre lorsqu'on analyse un texte litteraire par Ie truchement de la psychanalyse. Tout se passe comme SI les auteurs n'avaient pas integre un des postulats fondarnentaux de la psychanalyse selon lequel toute lecture analytique est avant tout une traduction, avec les aleas que cela comporte. Cette resistance aIa psychanalyse est tres certainement liee au fait que Ie senUnaire, dont sont issus ces textes, etait une introduction a «la Chose» analytique. (ISABELLE DECARIE) Anne Elaine Cliche, Dire le livre. Portraits de l'ecrivain en prophete, talrnudiste, evang€iiste et saint Montreal, XYZ editeur, coll. Theorie et litterature, 244 p., 24/95$ Un reve, Ie texte d'un reve place en incipit comme un avertissement, comme une promesse, reve au, sous Ie signe de l'alliance, s'annonce dans Ia douleur d'ecrire (dans Ie corps) Ie livre afaire. S'il faut traiter Ie reve, apres Freud, eomme texte sacre, il faudra aussi, rappelle Anne Elaine Cliche, lire - avec Freud cette fois - Ie texte sacre comme reve: double imperatif auquel s'accorde l'interpretation que l'auteure nous propose de son reve en faisant appel a« L'epee» de Kafka etal'histoire de la « Genese » au se tranche l'alliance entre Yahve et Abram. Aussi sommes~nous, des I'ouverture du livre,« deja pris », toujours deja pris dans «une chaine dont on ne repere pas bien encore la direction ni l'enjeu », mais qui rattache d'emblee l'ecriture de ce livre, cela au mains est certain, a une tradition, a un ordre de la parole au se reconnait la jouissance d'une pratique de la lettre. Dire Ie livre, en d'autres mots, s'eerit iei entre Freud et Ie Livre, on dirait rnieux avec la psychanalyse et la Bible, accompagnement qui, pour Anne Elaine Cliche tout au long de cet essai, se revele etre davantage un «( ne pas ecrire sans» ou se laisse deviner Ie retour d'un refoule: iei Ie Livre, mais il s'agit tout aussi bien de l'Autre livre, la Torah, Ia Loi, et de son commentaire , Ie Talmud. Le Livre comme refouIe; dire Ie livre comme Ie refoule. D'ou la necessite reconnue et affirmee par l'auteure de retrouver memoire, souvenance de l'avenir (puisque I'oublie,lui, ne nous oublie pas), memoire de ces ecrivains qui, comme Kafka, Artaud, Beckett, Genet ou Freud, «gardent obstinement Ie Livre en bouche» et dont Ie travail poursuit I'aCCOffi- 446 LETTRES CANADIENNES 1998 plissement d'une parole, se recOImalt dans l'acte, dans Ie faire qu'ordoIUle la parole conune sa Loi: imperatif du livre, mais egalement Loi physique, tres physique insiste l'auteure, a laquelle l'on n'echappe pas, qui pousse a devenir livre, a proferer la parole, au risque et au prix, pour Artaud, pour Ie prophete gU'est Artaud, «de la devenir en son corps». Au-dela d~s lectures attentives que propose Anne Elaine Cliche des auteurs qui composent son etrange cabinet de portraits, c'est peut-etre davantage la rencontre qu'elle met au jour qui nous retient, une merne entree en scene du refoule au se joue l'epreuve d'une tradition. C'est parce qu'elle nous offre a lire Kafka avec Job, Jeremie avec Artaud, au Israel avec Genet, que Dire le livre nous interpelle plus particulierement. Ainsi, de Beckett et de saint Paul, est-ce leur rencontre (ce qui s'y opere) qui intrigue plus que ce qui se rut de run et de l'autre: «Ce n'est pas Ie travail de Beckett sur la Bible qui peutnous reveler sa pratique du livre mais Ie travail de...