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384 LETTRES CANAOIENNES 1998 Conte et nouvelle MICHEL LQRO Le champ de la nouvellel a retred comrne peau de chagrin en 1998, bien que Ie phenomene soit difficile aevaluer asa juste valeur, etant donne que des recueils de nouvelles paraissent avec la mention generique de « recits )} ou «histoires ». Nous pourrions egalement penser que les editeurs francophones ne font pas toujours tout parvenir ala revue University of Toronto Quarterly, ce qui ferait que nous ne pourrions pas necessairement evaluer asa juste valeur la totalite de la production. Ce ne semble pas etre Ie cas, car apres verification des listes des ouvrages rec;us par la revue Leltres qu€becoises, par exemple,ilappert que les editeurs semblentavoir fait leurs devoirs, car nous accusons un mince deficit seulernent, avec un peu plus d'une vingtaine de recueils rec;us. Il reste que meme s'il s'est publie deux ou trois dizaines de recueils de contes, de recits et de nouvelles en 1998, c'est peu par rapport aux annees precedentes ou i1 se publiait plutot une cinquantaine de recueils. Une des raisons de ce declin reside apparemment dans la faiblesse du leetorat, faiblesse numerique certes, qui incite une maison vedette dans Ie domaine de la nouvelle comme XYZ editeur a repenser sa strategie editoriale, faute de quoi, selon son president-directeur generat Gaetan Levesque, elle court ala banqueroute. Le phenomene est simple dans Ie fond : alors que I'on croyait dans les annees 1980 - decennie qui voit naitre XYZ. La revue de la nouvelle et son prolongement XYZ editeur, puis les Editions L'instant meme et la revue Stop - que la nouvelle serait Ie grand genre de la fin du siec1e, on se rend maintenant compte que, si de nombreux auteurs sont attires par Ie genre, Ie public ne suit pas. Avec des tirages moyen de 500 exemplaires, XYZ editeur vend ses recueils au comptegouttes . Pour tout dire, la nouvelle se puhlie aperte et passe plus souvent sous Ie pilon que devant Ie tiroir-caisse. Pourtant, elle continue d'interesser de tres bons auteurs et, bien sur, les trop peu nombreux et bien nommes happyfew, qui, eux, en redemandent. DE L'ETRANGE ET OU FANTASTIQUE Le recueil de Bertrand Gervais, Tessons (XYZ editeur), pourtant publie SOllS la mention generique de «recits », satisfera pleinement l'amateur de nouvelles . Ce premier recueil de Gervais - aussi Ie seul aparaitre chez XYZ editeur en 1998-, compose de cinqnouvelles relativement developpees, est domine par les motifs de la mort et de l'oubli, mais aussi par l'errance au milieu d'un «decor» particulier constitue tour a tOll, dans chaque 1 Certains des commentaires de cette chronique ont pam dans 1a revue Lettres quebecoises, nDS 91 a94, en 1998 et 1999. CONTE ET NOUVELLE 385 nouvelle, d'humains fuyants, de plantes etranges, de chiffres illisibIes, de reves comateux et de talismans magiques. Ainsi, dans « L'oubli », Ie texte de tete ou I'erotisme est tres present, une femme decouvre que I'homrne avec qui elle vit depuis peu est allUlesique et elle est amenee au terme d'un parcours labyrmthique adecouvrir son identite. «Le derge et Ie metronome » contientencore plus de densite et d'intensite dans la charge emotive que Ie texte precedent. Le narrateur, Marion, est un gar<;on qui raconte l'histoire de sa vie, mais en commen~ant par Ia fin (pas sa mort, mais la ou it en est rendu, encore jeune) et en remontant graduellementet dramatiquement a}'origine. II y est question de relation avec la mort (sa mere morte avant sa propre naissance) et de'relation etrange et magique avec un grand cactus. La finale de ce beau texte paralt baclee, rnais elle constitue en fait une finale ouverte, qui laisse Marion dans Ie vide vertigineux de sa vie. « La conjecture» est une nouvelle des plus etranges. Un comptable nomme Millaire se rend compte un jour qu'il ne peutplus lire les chiffres qu'il avait lui-rneme inscrits dans ses livres de cornptes. II ne comprend plus rien. 11 souffre d'anumerie, mais se met alire avec grand plaisir de Ia poesie. Apres un parcours fort dedaleen, un professeur Ie decouvre et lui revele la cause de ses problemes. La finale est egalement iei pour Ie moins ouverte et etrange, comme toute la nouvelle, et l'on se demande aquel sous-genre cette nouvelle appartient, tout en se disant qu'apres tout Gervais est peutetre en train de creer une nouvelle forme de narrativite. « Tessons », la nouvelle eponyme dont Ie titre renvoie a des eclats de verre, s'enfonce encore plus avant dans l'etrangete des choses. Dans cette nouvelle achute cette fais,Ie narrateur raconte la mesaventure d'un homme qui souffre lui aussi d'amnesie. 11 apprendra de maniere inhabituelle les raisons de son etat. Enfin, dans la nouvellede cloture, « La mante artificielle », Ienarrateur, Collin, un entomologiste, raconte l'etrange relation qui s'etablit entre lui, un talisman que lui a donne son pere, peu avant sa mort, et les mantes religieuses de son laboratoire. La nouvelle rappelle les recits fantastiques et horrifiques exploitant les objets magiques / mal~fiques et les histoires de possession et de depossession. Comme on levoit, Ie recueil est fonde sur quelques themes, mais construit comme des labyrinthes etranges et fantastiques dans lesquels les personnages s'eruoncent - comme dans la vie... Sous l'unite donc, tme grande diversite de situations et une complexite certaine dans Ie traitement narratif. En fait, Gervais tricote serre des intrigues grace a un discours ou se revelent peu a peu les dessous des mysteres donnes en representation. Je dis representation, car il y a quelque chose de spectaculaire dans chaque nouvelle, de tres dramatique, et en meme temps Ie « recit » demeure toujours confine dans les limites de ce qui semble une «histoire» tout ce qu'il y a de plus «traditionnelle», narrativement parlant. Gervais ne recherche pas les jeux et les effets formels pour eux-memes et, dans ce sens, ne paraH pas renouveler Ie genre de la nouvelle, bien que sa rnaniere soit parfois si particuliere que certains 386 LETl'RES CANADIENNES 1998 pourraient arguer du contraire. En revanche, ce aquoi il excelle, c'est dans Ie maniement du suspense, dans la retenue du mystere et de l'inforrnation, puis dans la revelation graduelle d'un contenu toujours assez etonnant, sans pour autant gue la finale se resume toujours aune simple chute. Pour tout dire, nous avons 1.3. des textes qui nous Hennent en haleine d'un bout a l'autre, et qui nous font dire que voila des nouvelles epoustouflantes de suspense, de complexite et d'intelligence. De la part de ce professeur de l'uQAM qui s'interesse ala theorie de la lecture (A l'ecoute de Ia lecture, VLB, 1993; Lecture litteraire et explorations en litterature americaine, XYZ, 1998), cela n'etOIme guere, mais illustre que l'on peut etre a la fois chercheur et ecrivain de premier ordre. Marie-Pascale Hugo est une nouvelle auteure dans Ie paysage quebecois, mais elle a publie en 1997 un roman intitule Saul de puce (Gallimard) et Metamorphoses de rinsignifiant. Essai sur l'anecdote dans Ia modernite (BalzacLe Griot). Chercheure done, elle aussi, et romanciere, voila qu'elle fait une entree reussie dans Ie domaine de la nouvelle. Son recueil, Revers (L'instant meme), fort de ses douze nouvelles, est domine lui aussi par une certaine esthetique de l'horreur et de l'etrange. Des Ie texte de tete,« Antioche », Ie ton est donne: un couple part en vacances et loue un chalet rnalsain pres d'W1lac qui I'est tout autant. La suite est hallucinante. Dans« Big Boss», on a droit aun chat egorge et pendu la tete en bas. « La taupe» met en discours lll1 jeune homme qui revele ce qu'il sait d'une vieille femme qui cuisinait de petits plats pour un gaf/;on itinerant qui se laissait tripoter en echange de ces mets. « La main verte » raconte Ie basculement progressif dans la folie d'une femme au milieu de ses plantes vertes. Parfois Ie ton est loufoque~ comme dans « Traitement de choc» dont Ie discours suit la parcours d'un homme qui n'en pouvait plus de perdre ses cheveux, et qui decide de subir le- traitement offert au Club des turbans. Ailleurs, on assiste aI'inversion d'un des mythes homeriens, comme dans« Penelope », OU une femme refugiee dans une ile decouvre l'harmonie primitive, loin d'un mari casanier. Puis comme si la variete nl avait pas ete assez exploitee, Ie recueil se clot sur une forme de science-fiction: dans « Corps etranger », une machine redige un rapport sur un corps etranger qui a penetre dans sa sphere.Elle eprouve des sensations, et cite des CEuvres dont elle confond les references, comme ce Samuel Joyce, auteur suppose de Molloy Malone, au ce Marcel Beyle, auteur presume de L'amour perdu. Cette finale du recueil, pour facetieuse qu'elle soit, me parait detOlmer par rapport au reste de cet ouvrage, par ailleurs de tres bonne tenue et des plus fascinants. Annick Perrot-Bishop edifie lentement une belle ceuvre - dont Ie recueil Les maisons de cristal (Logiques, 1990) - au CCEur de l'tle de Terre-Neuve. Dans Fragments de saisons (Vents d/Quest), elle exploite egalement des situations etranges~ mais du cote d'un certain realisme magique. Ses univers sont domines par des decors maritimes et oniriques. Le premier «A l'aube de 1a memoire»~ et Ie dernier textes, «Flux et reflux»~ de ce court CONTE ET NOUVELLE 387 recueil de douze nouvelles breves et intenses, mettent justement en discours des personnages fortement lies ala mer. Dans Ie premier, avec des relents d'une Genese repensee, un oiseau decouvre une etrange creature dans un coquillage, dans 1a mer. Ill'emmene dans son nid. La creature se revele etre une femme, qui enfante de jurneaux, un male et une femelle, qui s'aimeront dans l'ecume de la mer pour «rompre la solitude de [leur] espece ». La nouvelle contient sept fragments narratifs au altement d'abord les points de vue de l'oiseau et de la femme-huitre, puis dans Ie septieme, surgit Ie ctiscours de la fiUe ason frere. Tres beau texte, simple, lisse. Dans Ie demier, d'une tout autre facture et au sens plus opaque, une fiUe rencontre une femme qui a une cicatrice ala joue. La premiere tombe et la femme l'emmene chez elle pour la soigner. Un jour, un chat saute au visage de la fiUe et lui inflige une blessure a la joue. Puis 1a femme semble disparaitre dans l'ocean, et la fiile « pense au monde d'oit [la femme] est venue et qui [lui] appartiendra un jour ». Entre I'apparition de la vie dans 1a mer, dans Ie texte du debut, et 1a disparition, I'engloutissement toujours dans la mer, dans la nouvelle finale, il y a comme un programme, fonde sur Ie mythe de l'eternel retour. Les dix autres nouvelles explorent divers aspects, divers fragments de la vie, toujours dans Ie meme registre fantasmatique. Parfois l'imaginaire s'eloigne de la mer pour entrer dans I'element terrestre, chtonien, et en superposantdes strates oniriques. Ainsi, dans «Reves sur un songe »,le narrateur essaie de reconstituer comme en songe les reves d'un reveur. Des decors se creent et se defont. Dans Ie demier reve, Ie reveur descend sous terre et rencontre une femme qui l'emmene dans une ville souterraine ou d'autres etres« l'entrainent vers 1a nudite de Ia nuit ». Puis, il se ressalsit, decide qu'« il ne veut pas mourir)}, et« remonte ala surface du sommeil ). Ce tres beau recit semble construit (con)sciemment dans l'intention de « tenter de rassembler [des] parcelles somnolentes », de «retrouver d'autres fragments disperses au sein des alveoles, des debris [qu'il £allait] rassembler pour reconstituer l'ordre primordial du songe ). C'estla apparemment la poetique de Perrot-Bishop, qui excelle a creer des fragments d'univers, et qui a ici bien choisi son genre, amoins que Ie genre bref ne se soit justement impose aelle lors de la creation de ce recueil. Suzanne Jacob n'a pas besoin de presentation, elle qui a merite les prix les plus prestigieux, dont celui du Gouverneur general 1984 pour son roman Laura Laur (Seuil, 1983), et qui a publie de nombreux ouvrages narratifs et poetiques depuis 19]8. Au contraire de son pnkedent recueil de textes narratifs, Ah... ! (Boreal, 1996), ou se chevauchaient l'essai et la nouvelle, son dernier ouvrage, Parlez-moi d'amour (Boreal), estbel et bien un recueil de nouvelles. Ce qui ne veut pas dire que la composante reflexive propre aI'essai (et d'ailleurs ala nouvelle contemporaine) en soit absente, mais que la part fictiOImelle est beaucoup plus importante, elle prend meme presque toute la place. Les neuf nouvelles, qui semblent toutes 388 LETTRES CANADIENNES 1998 inedites, parlent surtout de mort, d'amour, de vie au quotidien et de rencontres etranges debouchant presque sur Ie fantastique, ou, atout Ie moins, sur un type de fantasmatique. En ce sens, Ie recueil parait avoir ete reellement construit comme une sorte de passage de ce qui engendre la mort ace qui depasse la vie elle-meme et tend ala transformer. Les quatre premiers textes exploitent presque exclusivement Ia thematique de la mort: deux jelUles hommes desesperes paraissent se suicider dans« Le cycle des conferences»; lUle fillette est troubJee par ce qu'eUe pressent etre la mort de sa mere un soir de Noel ou elle chante mieux que jamais (<< Dans la nuit noire »); un homme, ex-bagnard, meurt avec la photo de sa fiUe qu'il n'a pratiquement pas connue et qui vient de mourir, dans «Le sourire de Lea Kapish »; « La version de Marthe Chevrier» est plus complexe, car une femme semble etre en prison pour Ie crime dJune autre femme qu'un homrne aurait tue sous ses yeux. La nouvelle eponyme, « Pariez-moi d'amour», est placee en plein centre du recueH, comme si Ie theme de I'amour venait clore et renverser celui de Ia mort. lei, Ie discours commence a se faire de plus en plus etrange: un soir, dans un parc, une femme demande aune autre femme de lui parler d'amour. Ce que la narratrice fait dans une scene aussi invraisemblable que belle. PuisJ Ie discours adopte un ton d'une liberte totale dans « Les calrnars », qui rappelle un peu les textes de Ah... ! Discours sur la vie, son sens et ses non-sens, ses petits riensJ ses insignifiances qui prennent toute la place car, ecrit la narratrice, «nous ne sommes que des fragments sans actualite abonnes au spectacle de la fin de tout role ». Pourtant, dans «Telles», Ie poids du reel s'accroit, dans cette belle nouvelle ou une jeune femme va revoir sa belle-mere meme si eIle ne reste plus avec Ie fils de celle-ci. Voila ici un bel hymne a la solidarite feminine et un refus global a toutes Ies formes de pseudo-democratie:«Nous ne voterons plus». Les femmes vont plutot sJinventer « telles», et je serais tente de dire, parodiant Mallarme, teUes qu'en elles-memes I'eternite les change. Les deux demieres nouvelles se delestent peu apeu de leur ancrage realiste. « Le terrain )} met en discours une femme qui, au contact dJun personnage etrange (est-ce une apparition ?)J se transforme, bien que difficilement, car femme d'action, comme son mari, elle ne comprend pas un homme rencontre au hasard et qui pretend ne rien faire. Le terrain dont parle Ie titre fait office de metap~'lOre sans douteJ car son proprietaire, l'homme qui ne fait rien, y laisse pOllsser en friche une vegetation lllxuriante au milieu d'une ville cotiere tres ordOIU1ee. AIa fin, Ia femme penetre dans ce terrain, symbole de liberte, puis peu apres l'homme semble lui apparaitre «comme s'il remontait du cceur meme de I'ocean». (II y aurait iei comme un lien secret entre les imaginaires de Perrot-Bishop et de Jacob.) Le dernier texte va encore plus loin dans I'etrangete . Cette fois, c'est aut~ur de la danse que Ie discours s'organise. A mesure qu'une choregraphe parle a ses etudiantsJ ceux-ci s'ecroulent entrainant dans leur chute toutes sortes de choses. On croit iei aune sorte CONTE ET NOUVELLE 389 de realisme magique cree par des effetsscripturaires qui prendraientforme dans la realite, mais qui demeurent en meme temps des effets stylistiques. Voila done un recueil de nouvelles bien etrange, mais construit admirablement et ecrit tout en finesses. Dans un univers OU la discretion est souvent de mise, Jean-Paul Beaumier est un des nouvelliers quebecois - et quebecquois, dirait Jacques Ferron - les plus discrets. II signe pourtant, avec Dis-moi quelque chose (L'instant meme), son troisieme recueil de nouvelles, apres L'air libre (1988) et Petites lachetes (1991), tous publies aL'instant meme. Dix ans done sous Ie signe de la discretion, ce qui, on en conviendra, sied bien al'amateur de nouvelles, bien que Ie corpus soit constitue autant de textes spectaculaires (Ie fantastique, la SF) que fonde sur Ie quotidien et les reliefs de la banalite. En fait, les nouvelles de Beaumier se situent entre ces deux poles, ou plutot se promenent entre les deux, car elles entretiennent des liens tant avec l'irreel qu'avec Ie reel. Dans « Vous allez loin? », par exemple, un voyageur, cardiaque, se rend compte qu'il est mort lorsqu'il voH l'hotesse s'asseoir a sa place au moment du decollage. « L'ordre des chose» offre l'image d'une femme obsedee par un jeune horome avec qui elle vito IT semble, c'est du moins ce que Ie texte suggere, que cet homme soit la reincarnation de son frere decede. Chez Beaumier,Ie reel est done problematique, comme chez les nouvelliers Iatino-americains, et ce n'est sans doute pas un hasard si Julio Cortazar est evoque par un des personnages du recueil. Ainsi, dans«Et c'est maintenant que tu me Ie dis?», un couple est pris dans un embouteillage, un peu comme dans« L'autoroute du Sud» de Tous lesfeux Iefeu. La toutefois s'arrete la comparaison, car la nouvelle de Beaumiern'est pas un pastiche de Corb3zar. Elle sert plutot arepresenter un couple force de se parler. On imagine que, dans la vie quotidienne, ils ne se disent pas grand chose. Mais dans cette circonstance particuliere, l'homme parle d'abondance, sa femme lui repondant de maniere laconique, pour lui apprendre finalement qu'elle est enceinte. Beaumier affectionne Ia nouvelle achute. Cela dit, en depit des apparences et de la variete des situations, son recueil demeure thematique. Le titre, Dis-moi quelque chose, fait ainsi figure de motif apartir duquell'imaginaire et Ie discours se deploient. Au fond de cet imaginaire se creusent, se logent, se lovent Ie silence, la detresse et Ia discretion des personnages. Cette discretion est rarement une qualite toutefois, puisque c'est en raison de la difficulte de la communication - du silence qui s'impose - que Ies personnages vivent drarnes et tragedies. Le recueil s'ouvre doucement, sans drame apparent, sur une conversation a l'air anodin entre un pere et un fils, qui a peur dans Ie noir et qui se demande ce que son pere fait dans son bureau (<< Des histoires inventeeS ») et se termine sur W1 mode tragique, avec «Alone Together )}, Ie recit d'un homme atteint de la rnaladie d'Alzheimer, sirnplement appelee ici « Ie mal terrible». Entre la necessited'inventer et l'oubli, Ia vie s'ecoule. Les dix-huit courtes nouvelles du reeueil naviguent ainsi a travers la vie (rencontres 390 LETTRES CANADIENNES 1998 diverses, separations surtout, accidents de parcours, «( parcours improbables »,« incidents de jrontiere» - pOllr reprendre des titres de recueils de Bertrand Bergeron et d'Andre Berthiaume, dont les irnaginaires ne sont pas absolument etrangers a. celui de Beaumier) et nous offrent des tableaux a la fois intenses et discrets de cette n~alite qui fait Ie bonheur et surtout Ie malheur des hommes et des femmes. Une ecriture tres fine cisele toutes ces nouvelles . L'automne 1998nous reservait une surprise de taille :un premier recueil de Victor-Levy Beauliell, intitule Les conte? quebecois du grand-pere forgeron ason petit-fils Bouscotte (Trois-Pistoles). L'ecrivain que l'on sait, aussi connu SOllS Ie nom de VLB ou de Levy, alias Bouscotte - auteur d'innombrables series romanesques, d'essais-fleuves et, entre autres, de la serie Bouscotte a la television de Radio-Canada, s'est paye «un grand plaisir» en « pill[ant] sans remords taus ces conteurs du siecie passe [dont Louis Frechette, Philippe Aubert de Gaspe, Parnphile Lemay, Honore Beallgrand...], reprenant souvent les phrases memes qu'ils ont ecrites apres les avoir prises euxmemes dans des textes aussi anciens que ceux du commencement du monde ~). (Notons que de ces auteurs, it pille aussi l'reuvre de Rodolphe Girard, qui est bel et bien du xxe siecle.) Cela dit, avant d'aborder Ia lecture du recueil, je me tenais sur «mon quant-a.-soi», comme dirait Jacques Ferron, l'un.e des references de VLB, etonnamment non pille ici (questions de droits d'auteur? de trap grand respect? de trop grande proximite temporelle ?). Mais a force d'entrer dans Ie livre, je suis graduellement tombe sous le charme, non pas tant des histoires dont je cOlmaissais deja les versions de reference (dont {( Rose Latulipe», «La chasse-galerie» « Le sorcier farceur d'Anticosti»), mais de l'ecriture de VLB et de Ia forme qu'il donne ases recits. Car ce sont avant tout des recits - et meme, dans W1 certain sens, des nouvelles - dans lesquels il reprend de vieux contes d'antan. En fait, il s'agirait de nouvelles baroques, calquees sur Ie modele du conte, mais aforte terreur autobiographique (<< Bouscotte, c'est moi», pourrait-il dire encore bien plus que Flaubert de sa Bovary), avec toutes les deformations obligees du genre. Le narrateur donne dans chaque cas une introduction ou il fait etat de ses humeurs, du temps de son enfance aTroisPistoles , avant d'en arriver ason grand-pere qui, au creux de sa boutique de forge, entre «en etat de racontement», et redonne ses versions des histoires et des legendes du temps passe. Presque tous les contes appartiennent au repertoire «fantastique», etrneme s'il estvrai que VLB plagie atour de bras, la lecture demeure agreable, car elle est fortement et joyeusement contaminee par la verve du vieux forgeron, qui est elle-meme portee par la verve meme d'un VLB plonge dans son enfance, et cela, meme si tous les tics de l'auteur de Race de monde s'y retrouvent aforte dose. Cela pourra deplaire a certains, mais j'y vois pour rna part un elan de vivacite et d'authenticite . Un detail, dois-je dire, rn'a agace : aucune des sources n'est proprement mentionnee. Il aurait ete preferable que VLB donne des nHerences CONTE ET NOUVELLE 391 precises pour la dizaine de textes ici «plagies ». (Meme si l'on reconnait la plupart des sources, je me suis demande d'ou venait« Le Massou Marcou du vieux fort ».) Simple respectdu lectoratet aussi des auteurs« pilles », car apres tout, dans son introduction, Beaulieu ne dit-il pas en toutes lettres que «ce [qu'il] vise en faisant ainsi, c'est de rendre hornrnage a. tous ces faiseurs d'histoires qui, de Pamphile Lemay aRodolphe Girard, ont illumine aussi fabuleusement Ie ciel du Quebec ». Beaulieu, qui ne veut apparemment pas faire ceuvre de « chercheur», donne pourtant en fin de volume un lexique des plus inh~ressants pour ceux qui ne connaltraient pas bien les vieux mots de « chez nous », comrne « amanchure », « becosse » et autres «cambuses »). A lire pour la truculence quasi rabelaisienne. Une autre surprise attendait encore l/amateur de contes en 1998: la publication de Le p'tit rien-tout -neu' et autres contes de Noiil (Prise de parole) de Camille Perron. Mais cette fois-ci, nous avons affaire a un vrai conteur oral qui, au lieu de reprendre les vieux c~ntes, ecrit les siens et les raconte, d'apres Ie modele du recit foikiorique traclitionnel. Je devrais parler au passe, car Camille Perron, ne en 1929 aAstorville en Ontario, est decede en 1995, dans la jeune soixantaine. Sa famille ainsi que la Societe RadioCanada de Sudbury, CBON, lui rendent hommage en publiant quelques-uns de ses contes et de ses performances orales. L'un des deux disques compacts qui accompagne Ie petit Iivre contient quatre contes (( Le violoneux »,«Emmanuel »,« Le paiment» et« Mederic-Ia-mam-coupee» ), appartenant taus au genre merveilleux - bien que l'on soit tente de parleriei de realisme magique autant que de merveilleux chretien, tant les recits sont tous bien ancres dans la realite et qu'a 1a fin s'y produise une forme de miracle plus ou moins relie au fait que les evenements se deroulent Ia nuit de Noel. Ces quatre histoires sont narres par Camille Perron, avec la truculence et }'aisance d'un grand conteur de metier. La difference entre les textes ecrits, tres courts - entre six et vingt pages - et I'oralisation est frappante :Camille Perron use d'une grande liberte pour rendre ses histoires, ne respectantpas vraiment la lettre de ses textes, gonflant pour airtsi dire Ia matiere contee, y insufflant ainsi une vie extraordinaire. Rien d'ampoule la.-dedans, tout etant fait avec un naturel merveilleux. Sur l'autre disque, nous entendons surtout les voix de ses enfants, qui reprennent quatre autres contes de leur pere, dont «Le p/tit rien-tout-neu' ». Outre que ces derniers contes soient un peu moins interessants que les premiers, on remarque que Ie pere etait un maItre peu facile aegaler dans I'art de conter oralement. Il reste qu'il est exemplaire de voir la tradition orale se perpetuer ainsi dans Ie Nord de l'Ontario franc;ais. DU REALISME Marguerite Andersen est une ecrivaine d'experience. Elle en est a son treizieme ouvrage avec Les crus de L'Esplanade (Prise de parole) qui etait en 392 LETTRES CANADIENNES 1998 lice pour Ie prix Trillium de IJOntario. Le recueil, riche et touffu, offre trente et un « crus [...] mis en bouteille au chateau [..Jde L'Esplanade }), comrne l'indique de maniere parodique la page couverture, l'Esplanade etant Ie nom de la rue au habite I'auteure torontoise d'origine allemande, dont l'CEuvre est presque tout entiere ecrite en franc;ais. (Fait anoter, elle dirige a Toronto, depuis l'an passe, Virages. La nouvelle en revue de l'Ontario fran<;ais, qui est d'aussi bOlIDe qualite qu'XYZ. La revue de la nouvelle.)« Les crus de l'Esplanade», c'est d'abord le titre d'une des nouvelles, plutot humoristique ou un Franc;ais d'origine, issu d'une famille provenc;ale, fabriquante de banyuls, s'arrange pour rehausser asa £ac;on - mechanteles vins que les Iocataires de son immeuble de la rue l'Esplanade font a partir de concentres. La nouvelle se trouve afaire par la bande la critique de la societe canadienne, portee sur Ie succedane: « [A]u Canada [...] on assistait [...] au regne de l'ersatz ». Mais que cette nouvelle soit humoristique et qu'elle soit eponyme ne signifie pas que Ie recueil soit domine par ce ton ou cette maniere ; dans l'ensemble Ie «comique», au plutOt Ie satirique, cotoie Ie serieux, sert de detente entre des moments de plus grande tension dramatique. En fait, c'est l'idee du bonheur, de sa recherche, qui se degage de la plupart des nouvelles: dans la premiere, «Comme ala decharge », un homme qui ramasse tout ce qu'il trauve dans son bungalow de banlieue, reve de voir son decor se transformer en «un palais sans pareil »). Ailleurs, une jeune enseignante de fran<;ais a Toronto vit un veritable cauchernar avec une de ses classes, mais apres avoir rencontre un jeunehomme, elle reve qu'elle pourra neplus faire de cauchemars. OJautres persormages revent atoutes sortes de bonheurs possibles au impossiblesJ petits et grands~ qui leur echappent Ie plus souvent, camme eette voix, dans« La voix », de la radio de Radio-Canada qu'un homrne cherche arencontrer pour se faire dire qu'il est ni gros ni laid. Le recueil est divise en deux parties. Apres les seize premieres nouvelles, nous sont donnes quinze autres textes, simplement precedes d'une courte epigraphe de Pierre R. Pelletier: «Nous ne perdons rien anous anerer dans Ie vrai ». Apartir de ce moment, Ie texte change de ton, devient plus subjectif, une narratrice prenant souvent Ie devant ou IJarriere de la scene, pour observer des persmmages dans un marche, dans Ie metro, dans la rue, dans Ie train et y aller de ses remarques personnelles. Ainsi, dans « 6 Canada», la narratrice epie un couple dans Ie train entre Ottawa et Toronto, des gens qui ne font que se plaindre de ce pays qui n'est malheureusement pas l'Europe; puis eUe critique ce couple, note qu'elle aime Ie Canada, entre autre acause de sa tolerance, dit-elle. La derniere nouvelle, d'une grande intensite, evoque, quant a elle, l'intolerance qui a ravage l'Europe et particulierement l'Allemagne, sous Ie regne de Hitler. «Buchenwald» prend la forme d'un cri du CCEur OU la narratrice retoume en Allemagne, dJou elle s'etait enfuie« apres la guerre, ala premiere occasio~» et y fait un pelerinage douloureux dans l'horreur d'un camp de concentration. Dans un certain sens, CONTE ET NOUVELLE 393 Andersen se rapproche ici d'un autre nouvellier canadien d'origine allemande , Wilhelm Schwarz, qui a donne recemment un recueil (HeldenlHeros, L'instant meme, 1995) parfois empreint du ffieme sentiment de culpabilite. Ce derruer texte des Crus de ['Esplanade, fort different des autres, et plus charge emotivement que Ie reste, n'arrive pas comme une surprise totale a la fin du recueil: il met en evidence la thematique du bonheur et du rnalheur, ici Ie rnalheur exacerbe, presque intolerable d'un souvenir atroce, vieux de cinquante ans et vecu « en 1995 » comme une tragedie toujours presente. C'est aussi unpeul'echo d'une nouvelleprecedente, « Les enfants de Berlin », qui pourrait tout aussi bien servir de point final a ce beau recueil. Fondee sur un fait divers (des enfants berlinois meurent victimes d'une vieille grenade oubliee dans un terrain de jeu), la nouvelle laisse surgir la douleur de la narratrice: « Aujourd'hui je me tasse dans mon petit appartement paisible, j'essaie d'oublier mais reste c~ntre man gre attentive a l'interminable fleuve qui charrie Ie sang de notre violence collective ». Essayer d'oublier - se tenir dans la discretion - et en meme temps crier dans Ie desert, voila sans doute ce qU'ont en conunun la nouvelle contemporaine et l'reuvre de Marguerite Andersen. Dans ce sens, Les crus de l'Esplanade, plus que de faire penser ade simples crus vinicoles, s'apparentent plutot aux crus tumultueux des eaux boueuses qui viennent inonder la conscience et la tourmenter afin qu'elle n'oublie pas l'essentiel: la fragilite humaine. Les nouvelles d'Andersen, COmme les miroirs multiples d'une arne torturee et hypersensible, brisent Ie silence dans lequel naus sommes tous enferrnes. La creation d'une toute nouvelle collection consacree a des recueils minuscules met-elle en lumiere lU1 nouveau phenornene de societe? « Des bonheurs-du-jour », d'apres ces petits bureaux atiroir, voila Ie nom de la nouvelle collection lancee recemment par Lemeac editeur. Les trois premiers titres parus en 1998 laissent voir qu'on cherche a rejoindre un public qui lirait adose homeopathique. De fort petit format, 10 x 14 cm, mince, entre 64 et 120 pages, ce nouveau type de livre - du mains dans Ie domaine de la nouvelle - rappelle Ie format de certaines collections de poesie. A des lieues de Ia brique du best seller, l'objet minuscule - il tient dans Ie creux de la main - semble nous renvoyer justement l'image de Ia rarete - ou de la rarefaction - des happyfew qui frequentent les nouvelliers quebecois. Pourtant, un seul des trois premiers auteurs choisis est un«nouvellier de carriere», si je puis dire. Le dramaturge qU'est avant tout Normand Chaurette fait tout de meme preuve d'un sens certain de la narrativite, dans Le pont du Card Vlt de l1uit suivi de Le poids des choses (Lemeac) et les univers depeints ont, me semble-t-il, peu en commun avec ses univers dramatiques. Cela se rapprocherait de la chronique, avec peutetre des relents autobiographiques dans« Le pont du Card )). Le narrateur y raconte sa visite dans la region d'Avignon, ou il semble invite dans Ie cadre d'un «festival prestigieux)} (sans doute Ie Festival d'Avignon). Il 394 LETTRES CANADIENNES 1998 passe des remarques sur Ie tourisme, les desagrements du voyage, et sur lIDe lecture ennuyeuse qu'il a afaire. Mais pourquoi doit-illite Prosper Merimee, si c'est bien de lui qu'il s'agit, et en rendre compte ason hote, Daniel? Mystere. Chaurette exploite iei Ie caractere «economique» de la nouvelle, qui consiste apouvoir dire peu, tout ensuggerantbeaucoup. Mais quoi? C'est achacun de l'interpreter. Le tout se termine par un veritable coup de theatre: !'illumination soudaine et presque irreelle du pont. Le narrateur a alors !'impressionde voir « la splendeur [du]batiment de pierre tant par les yeux de l'ame que par [sesJ yeux reels ». Si la premiere nouvelle paralt etrange (rnais belle), c'est en raison du disparate de son discours, qui epouse les contours de la conscience fragmentee du narrateur. Avec {( Le poids des chases», Ie ton se resserre et change radicalement, la nouvelle effectuant tule veritable plongee dans une forme d'horreur - de type «la main COUpee». Iei, il s'agit moins de l'ebiouissement du voyageur que de la propension ala haine. Presque comme dans certains contes traditionnels, Ie narrateur rencontre un certain Tantris Appleprice, qui lui raconte lID fragment de sa vie: au CCEur de cette existence, il y a lID cousin, Regis, qui aimait peser les chases sur une balance, dont un doigt qui peserait autant qu'une bague. Ceia conduit de maniere labyrinthique aune sequence morbide assez spectacuIaire qui montre que Chaurette possede I'art de creer un crescendo dramatique dans un cadre narratif qui, pour etre traditionnel, n'en reste pas moins ouvrage dans sa construction et Ie detail de son ecriture. Voila done un recueil miniature qui comble les attentes du lecteur de nouvelles. Dans Histoiresfleuries (Lemeac), publiees dans la meme collection, JeanPierre Boucher, qui a publie deux bons recueils de nouvelles - Coups de fil (Libre expression, 1991) et La vie n'est pas une sinecure (Boreal, 1995) -, se montre facetieux. Les trente-trois tres breves « histoires» de ce tout petit recueil sont d'ailleurs moins des histoires que des dialogues entre un fleuriste et des clients. Boucher en profite pour creer des situations«corniques », mais qui sont rarement bien dr61es, comme dans « Incendie » au une femme raconte a un fleuriste qu'elle est decouragee de voir son mari, un pompier, ruiner ses fleurs en les arrosant tous les jours, car il a « Ie syndrome de I'arrosoir ». Parfois Boucher cuItive1a chute, rnais pas toujours avec un egal bonheur. La meilleure nouvelle s'intitule« These}), et consiste en un dialogue entre un fleuriste et la mere d'une etudiante de doctorat qui vient de terminer une these sur Hub~rt Aquin al'UQAM. Le discours tourne autour de la complexite labyrinthique de l'reuvre d'Aquin. Toujours dans Ia meme collection, Monique Durand donne pour sa part, avec Eaux (Lemeac) I'un des plus beaux recueils de nouvelles de l'annee 1998. En tout, six textes, dont Ies quatre premiers valent leur pesant d'or. Le titre de la collection, «Des bonheurs-du-jolU», contraste parfois cruellement avec Ie contenu des nouvelles, puisque sont narres presque unique- CONTE ET NOUVELLE 395 ment de grands malheurs. De la meme maniere, Ie titre de la premiere nouvelle, «Un jardin asoi », dissone - mais c'est voulu - avec sa finale: il s'agit d'une histoire de femme battue, Paule, dont la fin, dans son beau jardin enfin a elle, est absolument tragique. Le style aussi est fait de contrastes al'inh~rieur meme de la nouvelle: dans les parties en italique, Ie discours se fait tendre et poetique, mais dans les parties en romain, la narration, realiste, expose les difficultes de la vie de Paule. La chute, ala limite du supportable, nous ebranle. La nouvelle qui suit, «Le train», est propre anous ebranler tout autant avec ce fecit qui decrit d'heure en heure et de minute en minute - avec des analepses -les derniers instants de deux jeunes filles, amoureuses, qui se suicident sur la voie ferree. Dans « George Black», la narration rend compte avec delicatesse et realisme de I'existence de deux sans-abris de Toronto. La finale est encore tragique et tout aussi emouvante que dans les deux precedents recits. Ainsi en est-il de« William», un homme toujours blesse par la perte de sa femme et de son fils dans les eaux d'une riviere. Les deux derniers textes sont des nouvelles au ton plus poetique, et sans doute n'est-ce pas pour rien que l'auteure prend la peine de dire que «des fragments [de «Depouillement» et«-Frederico et Giulietta »] ont ete publies dans Poemes du lendemain Un [aux] Ecrits des Forges, 1992 ». Etrangement,l'editeurne mentiolUle aucune autre publication de Monique Durand; ainsi, I'on se demande si ces Poemes du lendemain sont de la main de Durand ou s'il s'agit d'un recueil collectif. Quoi qu'il en soit, Eaux demeure un recueil extremement fascinant, en raison d'une ecriture tout en nuances, aussi realiste que poetique, et qu'y sont abordees sans pathos larmoyant des histoires afaire pleurer, peut-etre parce qu'elles correspondent si bien aux malheurs actuels de l'humanite. De Rachelle Renaud, nous savons peu de choses de cette presque nouvelle venue dans Ie monde de 1a creation: nee aWindsor en Ontario, done Franco-Ontarienne, Renaud a enseigne pendant vingt ansI a publie un manuel de litterature franco-ontarienne, Tout pres d'ici (Prise de parole, 1984), puis recemment elle rneritait Ie prixJacques-Poirier du Salondu livre de l'Outaouais pour son roman, Le roman d'Eleonore (VLB editeuf, 1996). Elle vit depuis 1992 aMontreal, et, comme pour bien marquer sa nouvelle (?) appartenance, elle a mis en epigraphe a son livre une citation tiree de L'homme rappaille de Gaston Miron: «j'irai te chercher nous vivrons sur la terre ». L'amour en personnel nous dit-on, est son premier recueil de nouvelles, bien que Ie quart des nouvelles ait paru depuis trois ans dans divers periodiques, dont XYZ. La revue de la nouvelle (faussement designee, page 174, du nom de La revue de La nouvelle XYZ) et Mcebius. Divise en trois parties (<< Monts et merveilles»I «L'amour en personne» et «A corps perdu »), l'ouvrage est construit avec l'idee d'une progression qui irait d'une forme de regard charge de reve ou de nostalgie liee au monde de l'enfance aun type de recit penchant vers un fantastique a1a fois morbide 396 LETTRES CANADIENNES 1998 et euphemise, en passant par Ie realisme Ie plus terre aterre de la section centrale. Ce qui lie Ie tout: la thematisation de l'etre mal-aime, de l'ame esseulee, souffrante, desesperee, parfois meme deja morte. La fac;on de raconter est souvent etrange, meme si chaque recit semble avoir une forme traditionnelle. Par exemple, dans «Nurnero de cirque», la narratrice commence par parler de cirque, puis derive, bifurque vers des souvenirs d'enfance, et, ala fin, revient au cirque qui, avec la chute d'une trapeziste, serait la metaphore de la vie. Dans «Le secret », Ie recit part de loin pour aboutir a une seance chez Ie dentiste OU une fiUette songe a <

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