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POESIE 4" for the Tish movement, observes that the 'proprioceptive writer sees the surrounding world in the midst of himself as subject - "sensibility within the organism".' George Bowering, introducing Fred Wah's Loki Is Buried at Smoky Creek: Selected Poems, suggests that Wah comes closer than other writers of the group in enacting a holistic image of the world. This can be glimpsed in 'Forest,' a poem identified by Bowering as typifying Wah's use of language. And we just stood there in the Forest look at everything around us looking surrounding The beginning 'And' suggests a process that is continuing. Pauses, between the lines, as distinct responses to the occasion, are registered. First, they 'just stood there,' then a fuller recognition of where they were, 'in the Forest,' with a capital F- appreciation of where they were. Thus, the imperative, 'look,' followed by the particularity which impresses them, of being in the midst of a host - 'around' them, rhyming with 'surrounding' just as 'look' rhymes with 'looking.' There is a Gestalt in those active verbs, in the rhyme and syntactical sequence of 'looking' and 'surrounding.' It is they who are surrounding the Forest, assimilating it, just as, or so it seems to them, the Forest is looking back and surrounding them. There is a certain charm in this close-to-the-ground poetic which aims to recapture primitive wonder; at the same time it is disconcerting to recognize that without the proprioceptive lens 'Forest' is not immediately accessible to the common reader. Poesie CAROLINE BAYARD L'annee qui boucle une decennie se veut souvent Ie lieu d'une retrospective . C'est la simple logique mathematique qui lui confere ce role: besoin de synthese, exigence analytique globale, on observe Ie champ, pour mieux Ie dominer, on traverse du regard l'epaisseur d'une duree pour en extraire les significations et les cassures. C'est moins la chronolOgie qui importe alors que Ie sensde I'ensemble. Le tout pour Ie tout. 1980 confirme la regIe. Le point cle-strategique de la decade c'est Ie fameux colloque de la Nouvelle Ecriture, tenu aMontreal en fevrier 1980, dont les travaux ont ete publies par La Nouvelle Barre du jour Ie mai suivant. Pourquoi accorder tant d'importance ace colloque dans ce qui ne devrait etre que Ie survol de la production poetique de l'annee? Parce que Ie colloque a evalue la 42 LEITERS IN CANADA 1980 particuliere ecriture d'une certaine decennie. II a regarde en arriere et en' avant, se faisant ainsi Ie pivot d'une pluridimensionalite d'ecritures et de lectures. En tant que regard sur une epoque, ces reflexions valent d'etre examinees en detail. Certains s'accordent pour situer les debuts de la nouvelle ecriture au Quebec en '970 avec la parution dans la presse des 'Dix Propositions du Groupe d'etudes theoriques.' D'aucuns affirment qu'il ne s'agit que de la theorie qui a suivi la pratique, ou les pratiques deja courantes ici depuis deux ans. Les theoriciens etles historiens en decideront. Ce qui compte ici et aujourd'hui c'est de voir les roles que s'est tracee la nouvelle ecriture, quelles differenciations elle s'est choisies dans ses fonctions et surtout. quel sens la distance lui confere a present. En se voulant de la modemite il est indubitable qu'elle a casse les ponts avec la terre, la femme et la patrie et toume resolument Ie dos aux preoccupations des generations precedentes , de I'Hexagone a Parti pris. Mais est-ce adire qu'en s'eloignant d'une thematique fennement nationaliste et enracinee dans une ideologie sinon marxiste (souvenons-nous du Paul Chamberland de L'Afficheur hurle) tout au moins en appelant ades ideaux de justice sociale (Gaston Miron et Michele Lalonde) la nouvelle ecriture s'est voulue a-politique? Non, certes, et tandis que ruissellent de toutes parts les ecarts ala norme, Ie discontinu, I'inintelligible, Ie non-figuratif re-introduisent Ie sujet psychanalytique, Ie '<;a: les pulsions. La theorie, comme les textes, valorisent Ie ludisme, Ie plaisir, la sensualite. Claude Beausoleil disait qu'ils forcent a se deplacer, aquitter I'etabli d'un point de vue, pour se perdre dans la relativite du desir de comprendre ce qui et comment '<;a' arrive: 'je est un je. II est un jeu, tu est un autre.' Du sujet au savant reseau des intertextes qu'il aime poser, collager et confondre, ce nouveau texte toume vite et fonctionne sur un presuppose de dire plus qu'il ne dit (dixit France Theoret). II appartient a I'urbanite, a la metropole contemporaine , son enjeu est dans la facticite, la productivite. II est marraine par les gratte-ciel en verre, les performances, les films, inscrit aux rainures de la pollution et du bruit. II ne s'agit pas seulement de devier, se demarquer, parodier et reproduire mais parfois aussi de manier I'art d'utiliser les restes, les ordures, de recycler, de collager. Ce n'est pas pour rien que Francine Saillant parlera au COUTS de ce colloque de la re-organisation des dechets pratiquee par la nouvelle ecriture, a I'instar du courant d'art italien, arte povera ... Finalementil ne surprendra personne que Ie discours feministe de la decennie se soit trouve d'exactes conjonctions theoriques et pratiques avec cette ecriture. On pourrait meme dire qu'il a investi et deborde son ouverture ala diff-errance, au deploiement, au tabou, a la marginalite - Brossard, Theoret. Yolande Villemaire - autant de noms qui vont et viennent au COUTS de ces dix annees et finalement reviennent en cette annee qui nous interesse. La premiere as'exporter, apublier hors Quebec, hors Amerique aura POESIE 43 ete Nicole Brossard qui, par I'intermediaire de FIammarion nous apporte Le Sens apparent (76). II Y a la des metaphores, des centres nerveux qui meritent d'etre retenus. Des recurrences que I'ceil saisitau hasard: spirale, cycles, coquillages, ondes, arcs et helices. Toutes Iiees au mouvement, certaines a la pellicule, it I'objectif, d'autres au sens fabrique. L'espace du Sens apparent synthetise jusqu'ala perfection cette fameuse modernite de la decade. Les mecanismes langagiers y sont deboutes, deux villes effleurees (New York, Montreal), Ie texte est un corps explore, certainement desire, mais en definitive toujours echappatoire, it jamais, it regret exutoire. Un des mots de passe chers it cet espace temporel fut I'adjectif pluridimensionnel. line nous venait pas de si loin apres tout, il avait vu Ie jour en France avec Julia Kristeva, precisement it I'aube de ces dix ans-Ia et il nous avait revele Ie texte poetique comme un corps resonnant a registres multiples dont chacun des elements renvoyait a des langues, a des discours absents ou presents. Rien n'est jamais saisissable, uniforme, ni simple. Vertu et talon d'Achille du Sens apparent qui precisement joue tant de ces apparences, de ces reflets de surface et de fond qu'oreille et memoire dechainent, et dans sa finalite nous laisse grises par les tentations, les appHits de toutes ces Significations. Urbanite, certes, mais febrilite aussi et epuisement pour Ie lecteur-Iectrice qui veut trop suivre toutes les pistes. Un texte qui ne devrait pas depayser les Fran~ais, auxquels iI est offert en primeur, ni bien sur les Quebecois mais qui risque de derouter Ie Canada anglais et meme - c:est it parier -I'Americaine dont iI nous parle: Adrienne Rich qui appara\t etdisparait constammentdans ce livre. Choc de voir un poete surgir dans Ie corps textuel d'un autre poete. Cela tranche sur la fiction, dedouble I'illusion, et peut-etre meme detourne encore plus Ie sens. Mais I'auteur de Of Woman Born (1976) demarque une fiction bien differente de celie de la nouvelle ecriture, elle ne decolle pas systematiquement du reel: Ie mimetique, Ie clair, I'evident sont des poles de valeur autrement significatifs pour elle. A preuve du contraire I'accueil tiede reserve ason texte par les Quebecoises lars de sa recente representation au Theatre des femmes. II est de profondes solidarites ideologiques qui ne passent pas forcement par la meme politique textuelle. Avec Amantes (lOg), publie cette fois chez Quinze, Brossard developpe encore les rapports entre la fiction et Ie reel. A la difference qu'ici c'est peut-etre moins d'ecriture et de production de texte dont iI est question que de lecture. DeIice de lire I'autre et d'errer au fil des decodages: je te dis rna passion de la lecture de toi, cachee derriere tes citations. La nouvelle ecriture etlou Ie feminisme ne vont pas seulement eclore chez FIammarion ou aux Quinze, car Les Herbes rouges nous apportent 44 LEITERS IN CANADA 1980 cette annee une moisson qui vaut un examen attentif. Yolande Villemaire semble avoir suscite !'interet d'un large public avec La Vie en prose (262, $14.95). II faut dire tout de suite la vertu quintessentielle de l'auteur, rare de notre temps et encore plus rare dans les cercles feministes: l'humour. Villemaire a une maniere imperturbable de declencher l'hilarite: on hesite, on pouffe, on s'etouffe, on se dechaine. Jeux de mots et mots pour jouer, mise en bolte de ce moi cocasse et des autres. nest difficile de resister it cet it-bout-de-souffle railleur qui fr61e Ie pathetique pour plonger a pieds joints dans l'irresistible ridicule. Si Villemaire nous fait reflechir, c'est par Ie biais du rire. Therapeutique inhabituelle autant que merveilleuse. Madeleine Ouellette-Michalska dit un jour de Yolande qu'elle etait la cousine de Jack Kerouac, la sceur de Rejean Ducharme et Michel Tremblay. Logiques parentes. nest peut-etre un peu injuste de passer de Villemaire aFrance Theoret. Necessairement putain (l'Herbe rouge, 66) ne detourne pas les sens par Ie declenchement de l'hilarite, mais bien plut6t par Ie caractere evasif de son je narratif. C'est une trame qui n'a pas la densite, I'epaisseur de celles de Brossard, ni ce genie afuser Ie rire propre aVillemaire. Elle joue tant sur les demi-tons, les fines nuances, les deplacements de focalisation qu'elle exige beaucoup de son lecteur pour finalement ne lui laisser arracher que des bribes, des eclats: elle se prete ludiquement anotre desir d'avoir une histoire, une histoire qui n'arrive jamais, qui est toujours remise aplus tard. C'est son droit mais cette strategie du fuyant lui fait perdre !'impact que s'arrogent Brossard et Villemaire. L'on sent cette re-introduction du narratif, du narratif qui colle plus nettement au reel chez deux autres auteurs des Herbes rouges, Pierre Monette et Andre Roy. Le premier, avec Ajustements qu'il [aut (66), son troisieme volume chez cette maison d'edition, a une immediatete surprenante, inattendue, presque choquante apres les textes mentionnes ci-dessus. Ajustements qu'il[aut sont des poemes pour journees de travail, de routine, d'usure. Des mots qui nous padent de travail et de corps, de sommeil et de fatigue. De courses it faire, d'epicerie, de metro, d'ancrage dans la ville mais aussi de chaises tirees et de feu de bois. La voix de Monette est ala fois courageuse et attachante. Critiquement consciente aussi. (Voir pour preuve l'avertissement qui cl6t Ie volume, une citation de Brecht sur la situation du poete qui se veut compagnon de lutte du proletariat mais qui, de par les limites et les faiblesses propres asa classe, doit toujours etre un compagnon it considerer d'un ceil critique.) Le Petit Supplement aux passions (52) d'Andre Roy partage l'urbanite des precedents - nous passons de New York it Montreal - mais cette fois c'est Ie nocturne et ses labyrinthes emotifs qui nous sont contes. Comme Monette, Roy cede aux tentations narratives, au sens de I'histoire it raconter, al'envie de la suivre surtout atravers les pieges de la nouvelle POESIE 45 ecriture. Sa poesie est un defi a la pudeur, a la bienseance la plus etroitement traditionnelle: Je m'attendais aussi ata queue/un atlas de rerection. Et au-dela de ceci, un abandon aux mythes qui ont tente la culture homosexuelle nord-americaine Gohn Travolta / Ie blanc / la nuit / New York / les discotheques). Mais c'est un abandon intense etabli dans un dispositif serre, a la trame impetueuse. La metonymie etablie entre I. passion et les mythes a la mode, entre Ie desir et Ie perissable, entre I'amour et Ie retro de demain, emporte notre adhesion, notre attention. Plus jeune ou sans doute et encore douee de moins de metier nous apparait Suzanne Meloche, auteur des Aurores fulminantes (Les Herbes rouges, 42). (Quel titre indicateur de ce tissu d'images aimplosion!) II y a la plus que des promesses mais pas tout afait encore des certitudes. La mise en page surtout en est mediocre, Ie texte s'inscrit en colonnes monotonement regulieres, sans ecarts, espaces blancs ni ruptures. Ce qui manque ici ce ne sont ni Ie souffle, ni Ie rythme qui sont attirants etcement souventces curieuses metaphores, mais la strategie de la page, I'economie des etapes, cette subtile logistique du sens qui fait qU'un auteur et.blisse son dispositif en fonction des Significations a produire. Meloche nous offre d'interessants croquis mais pas encore de constructions. Avec Normand de Bellefeuille et Dans la conversation et la diction des monstres (Les Herbes rouges, 27) - titre point indicateur de ce qui suivra - les vertus et les vices sont inverses. II y a 1.1 trop de metier, trop de conscience des reflexes, des mecanismes. Les sens sont morts depuis longtemps. C'est decevant car de Bellefeuille triomphe souvent dans I'essai, dans la theorie qui ne cesse d'attaquer Ie theologique ou, comme il Ie dit, Ie semantique au crayon gras, Ie sens Dieu-Ie-pere. (Voir son brillant ess.i du colloque sur la nouvelle ecriture, 'Ie caca et Ie lisible,' dans La Nouvelle Barre du jour de mai 1980.) Ce qu'il y a d'attirant chez de Bellefeuille c'est cette obsession de faire la toilette du poetique, cette volonte de decaper, de recurer Ie langage. Malheureusement Dans la conversation est une toilette decevante qui parle de nettoyage sans vraiment Ie faire, qui bavarde en refusant de nous offrir les fruits de cet insolent mais si desire travail. Un texte qui promet plus qu'il n'offre. Peut-on en dire autant de la moisson poetique du NoroH? Pas vrairnent. Un train bulgare (83) de Francine Dery passe mais laisse beaucoup de traces. II y a la une riche ecriture qui a vole au surrealisme et a l'automatisme Ie meilleur d'eux-memes. Cette traversee d'un pays laisse hors de l'histoire et qui n'a sur des atlas que !'image d'un insignifiant satellite beneficie evidemment des privileges de !'insolite, du bizarre, du different. Mais c'est I'ecriture de Dery qui accroche surtout: eUe fuse et 46 LEITERS IN CANADA 1980 delie, elle plagie les couleurs et seme les morceaux d'un univers. Un nom Ii retenir, un nom qu'on ne pourrait se permettre d'oublier. Le je et Ie Iyrisme ne sont pas morts au Quebec. A preuve de defi, quoiqu'en ecritures dissemblables, Plaine lune et corps fou (Norai!, n.p.) de Jean Charlebois et La Promeneuse et l'oiseau (Norai!, 86) de Denise Desautels. Le verbe de Plaine lune est une parole de mesure qui n'entraine pas, comme Ie texte de Dery, mais incite plutot aune lente reflexion. On pourrait dire que c'est un verbe pour songer, dont les intertextes sont plus meditatifs qu'explosifs, plus pensifs que declencheurs d'automatisme: Ie commencement du monde approche approche approche regarde Ie temps qu'il fait quand il s'allonge quand il s'embrume d'explications (se reconstruire hubert je sais soit dit, soit-il) Les italiques ici se referent Ii un fragment de la derniere lettre d'Hubert Aquin a sa femme. Traublant et parfait intertexte dans cette longue reflexion sur I'amour et la mort qU'est Ie volume de Charlebois. Le trace thematique de La Promeneuse et l'oiseau est semblable mais I'ecriture en est totalement differente. Prase poetique qui suit Ie flux de la memoire, ses va-et-vient, ses associations, ses cassures, ses lies et ses blancs. La prameneuse tatonne dans Ie labyrinthe de la memoire et esquisse Ie schema d'un passe, ou de plusieurs. L'oiseau est Ii la fois aigle et enfant. Oiseau de proie, done signe de deuil, et enfant pris au piege. L'enfant oiseau. Une naissance. Ie veux un oiseau camme on dit ... une place pour la folie Ie delire ... rai un oiseau. Mal tom~ au mauvais moment. naurait fallu une ile chaude. Chez Desautels, camme nous Ie verrons plus tard chez Lili Cote, I'intertexte feministe sous-tend Ie donne immediat; les balises familieres (Helene Cixous, Madeleine Gagnon, dans d'autres cas Monique Wittig et I Fran~oise d'Eaubonne) sont presentes et nous aident non pas vraiment a decoder mais plutot areperer les isotopies et it nous orienter. L'intertexte est une boussole. Le Norai! a aussi publie cette annee un livre qui a fait couler pas mal d'encre, ainsi que valu it Claude Beausoleil Ie prix Emile-Nelligan - Au milieu du corps rattraction s'insinue (234). Cest certainement un des potSIE 47 sommets de l'ecriture de I'auteur, qui travaille les reliefs arides de la modemite depuis bientot dix ans et joint dans ce demier volume les traces - erotisme textuel, subversions lexicales, infractions syntaxiques, urbanite et fiction du retro Gudy Garland, Marilyn Monroe surtout) - de predilection de cette ecriture-liL Regardons plutot des bribes de textes: 06. une ~rotique d'avant-garde devenir une vie (profuser) intentions en probables la fiction du collage - forme 0.10 ~criture - nuit - infusion nier - modeme - delicatement surface-excessif - noir irrationnel La stylisation poussee aI'extreme de ce qui est devenu Ie ou les codes de I'avant-garde devient ici inquietante. Le raffinement en est si quintessentiel qu'il se fait narcissiquement parodique. Texte qui tourne en rond, qui fait Ie fou, comme dirait Nicole Brossard, rnais qui pose aussi - de biais -Ia vraie question: lorsque la subversion est II I'ordre du jour, combien de temps lui reste-t-il pour pretendre II ce titre? Telles ne sont pas les preoccupations de I'Hexagone dont une partie de la production semble nostalgiquement toumee vers les annees soixante. Femme souveraine (52) de Jean Royer en particulier est magnifiquement ala proue de cette "poque OU la femme "tait terre et s'ecrivait avec une majuscule. II est troublant de lire Royer en 19B1. Cest un poete qui s'est soudainement arrete dans Ie grand manege des textes ou peut-etre qui toume avec celui, desuet, des grands chevaux de bois. Apres les fusees et satellites chrome et plastique de Beausoleil et compagnie Ie contraste ne manque pas d'etrangete. Mais pourquoi pas? Avec Georges Dor et ses Poemes et chansons (67), c'est Ie retour dans un cafe-terrasse d'ete: il aurait mieux valu les appeler chansons tout court ou ballades, peut-etre. Mais I'Hexagone ne nourrit pas forcement la pure nostalgie: Le Fou solidaire (66) de Gilbert Langevin n'est ni ballades ni chansons, plutO! une serie de courtes pieces dediees a des couples amis. En nos temps qui ont mis l'epistolaire au rancart, I'art de la dedicace devient troublant, tant c'est la voix de leur destinataire que ces pieces nous renvoient. Echo, jeu de miroir qui fait trembler parfois, tant !'intuition semble juste, voyons acet effet les quelques vers envoyes aYolande Villemaire: Elle ressae Acceur fou Elle remue l'air et 1'0nde EUe en donne d'eUe plus que jamais 1'0n vit 48 LEITERS IN CANADA 1980 On Mcele la meme aptitude it la condensation peut-etre meme it l'apre abstraction cette fois-ci, dans Couleur chair (L'Hexagone, 92) de Pierre Nepveu. L'ecriture de Nepveu est un cas interessant. Bien silr elle est issue de la modernite et la ville est son terrain, elle sait jouer les doubles tours de la nouvelle ecriture; et pourtant elle n'en est pas vraiment. Elle a un autre intertexte, anglo-americain celui-Ia. T.5. Eliot et Wallace Stevens surtout et d'un tout autre temps. Elle pratique subtilement I'art de la reduction, elle condense Ie concret en une abstraction, Ie depouille, Ie denude lentement. Refuges de !'inaptitude it vivre, les mots deviennent des cristaux parfaits mais irreellement schemaliques: Blesse a vie il se depense dans l'eclat congele d'un present comestible son d~mon de midi s'alimente au restent du voyage les traces melees de paroles egarees dans les veines C'est un texte qui nous force a tourner et retourner les mots dans l'espoir d'y guetter une sensation mais qui finalement nous echappe et emporte Ie vecu, Ie senti, Ie sensuel avec lui. Geste a la fois protecteur et jaloux, antithese de I'imagisme et intellectualisalion de l'experience. En ce sens l'ecriture de Nepveu occupe une place unique au Quebec. Unique aussi est Ie retour de Galien Lapointe apres treize ans de silence. Quete de 'l'originaire alphabet,' par dela Ie grand intertexte rimbaldien et surrealiste, Arbre-Radar (L'Hexagone, 139) celebre plus que sons au syntagmes, l'epaisseur des espaces, les odeurs, les touchers: dans la corne du £leuve 5'entrechoquent eealures de braise, vignes qui l!ciatent fauves outre du tain du lointain quai se fait devoreux je? plaquant rocre ecorce (bras hanches ventres) sens ou courant de sueur, alphabet qui rapatrie ola-bas la puissante matiere qui me redonne l'elan chair sans tristesse machouillant du r@che de triches ou des chiques de lichens, roue/troue C'est un tres beau retour it I'ecriture et qui, esperons-Ie, ne sera pas suivi d'une aussi longue absence. L'Hexagone nous aura aussi donne cette annee De I'reil et de l'ecoute, au vingt annees de la vie de Michel van Schendel (1956-76), prix du Gouverneur general. La voix qui traverse une si longue duree s'impose de par sa force, sa situation au monde, sa continuite aussi. II y a une certaine etrangete ill'ecouter en terre quebecoise car elle y est sans en etre malgre Ie 'Poeme au vent Indien: malgre Ie recueil de 'I'Amerique etrangere: malgre la violente intuition avec laquelle elle dechiffre ce continent: Aml!rique amerique de soufre Aml!rique d'l!corce hoquet des hurleries et saxo noir des fous Aml!rique tendue aux quatre clous du vent Amerique concave enfant vieillot manne vaine Amerique abattue abattoir de tes rouilles Ivrogne du matin Mchant des horizons de pluie Terre de futur vague et de rencontre Amerique Mais I'ecriture de van Schendel n'a pas de stricte appartenance, pas plus ii une nation qu'a une theorie de l'ecriture. Elle evolue, elle se deplace dans I'architecture de ces vingt annees et des geographies. Et pourtant elle se ciseIe dans I'epaisseur du politique, du ou des sens de l'histoire, des solidarites, des combats. Elle s'en fait !'inscription, elle developpe des complicites et plonge dans la grande melee de I'histoire majuscule et plurielle: celie des Juifs, des immigrants et des Quebecois: ala phrase epelant la grammaire des mains au peuple silencieux qui guette sa meMe aIa grande siderurgie de Ia patience a la terre noire au moment d'y tendre Ie brandon j'ecris Ie mot quebec pour une rose etrange alphabet poudreux aux premiers temps du monde Iangage d'os et de petale morceau d'ame d'agonie Nulle abstraction detachee des sens ici. Un corps ii corps plutot. Cest un texte qui agrippe et ne laisse pas en paix. Ni emotivement, ni analytiquement . Quant ilIa parole de Gaston Miron (si rare et qu'il nous a tant mesuree dans ses livres) c'est dans la revue Possibles, au printemps 1980 qu'elle nous arrive. Pour avoir publie les autres avec beaucoup plus de conviction qu'il ne s'est publie lui-meme, il nous a trop souvent prive de ses mots. 'Femme sans fin' repare cet etat de choses en nous offrant une suite de textes dedies ii Sandrine B. et d'ou la voix de cette derniere se juxtapose a celie de Miron, en exergue, citations, conclusion. Le montage est troublant tant I'absence de I'autre se fait presence, palpable dans Ie 50 LEITERS IN CANADA 1980 texte meme, dans les lettres qui s'y pressent. II y a Iii. aussi evidemment la voix de Miron, qui reste longtemps avec nous, qui est si forte qu'elle se fait inoubliable. Ie ne sais pas qui tu es, mais tes pas sant par/Dis dans man lime, comme un sonar parfois tu me trouves et pariais tu me perds Pour clore la production de I'Hexagone, il convient de jeter un coup d'ceil sur I'important volume de Paul Chamberland, Terre souveraine (79), pam peu avant Ie referendum du 20 mai 1980, et qui s'ouvre sur les paroles suivantes: rai pour matrie la terre et Kebek est mon point d'attache ala matrie terrestre. C'est Ie travail sur Ie langage religieux et sur l'idiome politique qui compte ici: definir Ie cceur de la souverainete dans ce que Chamberland per~oit comme la derive apocalyptique de ce monde. Cette definition vaut d'etre citee: se dire aui anous-memes, nOllS absoudre et nous exaucer. Le courage de Chamberland est d'accepter un certain langage politique, celui des partis traditionnels, des pamphlets, des annonces, et de Ie travailler au corps, de lui faire dire ce qu'il ne savait pas, d'en extraire une analyse, de reflechir, dans Ie flux de l'histoire, ii. la trame qu'il faut en tirer, en sauver. 11 est interessant de voir it quel point il vise ii. la transcendance de I'exclusif du nationalisme et en meme temps croit en sa capacite d'exaucer Ie meilleur. C'est un livre-pierre d'angle, philosophique et poetique, dont on se souviendra d'ici la fin du siecle. Lemeac, lui, suit des sentiers battus avec Demain d'hier l'antan (145) de Gilles des Marchais et Ellipse en memoire (66) de Lili Cote. SUITane et ii. rebours sont les epithetes que Ie premier declenche immediatement. Compter les pieds et faire sonner les rimes, joindre jasmin et parchemin, gla~ons et frimassons, cela a aujourd'hui la bizarre delicatesse de I'anachronique. Gilles des Marchais semble sorti d'un apres-midi de Jeux floraux circa 1913. S'il n'est pas depourvu de charme et encore moins de douceur, il nous communique la vertigineuse certitude d'avoir saisi un horaire des trains de province (Trois-Rivieres-Quebec) d'avant la Premiere Guerre mondiale et d'etre dftment monte dans Ie wagon de tete entre un notaire bedonnant et une beaute au chapeau jardin fleuri. A conseiller aux amateurs de sensations etranges. Nationalistes/nouvelle ecriture/feministes/amateurs de science fiction, s'abstenir. Lili Cote, elle, POESIE 51 est c1airement des annees Bo. Ce qui n'est pas un critere systematique de talent, non plus que son obtention d'un prix au titre suranne, Ie prix Octave-Cremazie. Autre contraste amusant quand on ouvre Ie livre puisqu'on y trouve une ecriture ancree a la contemporaneite: revoltes aphones je traverse d'un trait l'histoire masculine rampre au tenne Ie propre du mot et recommencer au corps Ie langage au vol la femme tient de }'oiseau Ellipse en memoire a la certitude d'une deja puissante et sure ecriture. II y a la une vision, une perception qui n'a pas trompe Ie jury du prix. C'est un nom que nous reverrons surement. Naaman aussi nous amene quelques voix qui resteront dans nos memoires. A retenir surtout Les Voix closes de Maurice Jacques, poete d'origine haltienne qui a deja publie trois pieces de theatre et un autre volume de poesie et qui ne se laisse pas oublier. Un verbe simple, parfois percutant, toujours sobre, qui donne envie d'en lire et d'en savoir davantage. danser pour enterrer nos morts chanter en pleurant parce que vivre pr~s du solei! loin de naus autres tr~s loin du pain et du miel parce que glaner Ie tiers la plan~te tourne lointaine et nuageuse glaner Ie tiers D'autres volumes aussi: LA Saison des papillons (Naaman, 71) de Jocelyne Villeneuve, tentative d'adaptation du hai"kaia notre langue, une tentative pas entierement convaincante qui laisse percevoir la traduction, I'effort, I'ecart qui separe deux univers linguistiques et n'arrive pas vrairnent a se faire pont. Et aussi Mon pays eventre (Naaman, 59) d'Alexandre Namian, poesie d'un apatride qui ecrit dans 'I'Amerique du doute' d'immigrants, d'anarchistes, d'exiles et de Juifs avec des accents qui emeuvent, dans une langue qui demanderait ase travailler davantage, anettoyer des angles. Mais il ne faut pas en oublier I'emotion. 52 LEITERS IN CANADA 1980 Un autre niveau emotif, un autre registre de sensations puissantes nous arrive de chez VLB editeur, en collaboration avec les Editions Parti pris, en Ie personne des CEuvres poetiques completes l)36) de Denis Vanier (1965-79), une autre retrospective de 1980, et qui s'imposait du reste apres quinze annees de travail. Vanier derange, dans tous les sens du terme. Si l'on veut se rassurer on peut Ie qualifier - comme Ie fait Andre Bourassa - de surrealiste. On peut essayer de trouver toutes les epithetes logiques de I'ordre et de la raison pour calmer cette deraison qui se veut si systematique qu'elle enrage autant qu'epuise. Il y aurait beaucoup II dire sur ce voyou et voyant (Bourassa encore) qui voulait pratiquer l'intrusion forcee des abattoirs de l'ordre pour l'illumination et la supreme conjonction avec l'au-dela! On peut se demander - et d'autres l'ont fait - si ces textes representent vraiment une transgression et non l'exact envers des produits du systeme qu'il affirme debouter. Le temps et la place manquent ici pour faire leur juste part it ces questions; qu'il suffise de dire que Vanier n'a pas fini de nous departager et qu'il s'agit III d'une importante et necessaire retrospective. Maternative (158) de Louky Bersianik est l'autre volume produit cette annee par VLB. Nous y retrouvons Ancyl, sceur-compagne-chercheuse de L'EugueIionne et du Pique-Nique sur I'Acropole: Poesie ou prose ... les parois differentielles sont minimes, c'est toujours la meme voix, celie qui tente !'immense pari d'ecrire la symbolique des femmes, territoire dont elle les voit depourvues, ou plutot depossedees par l'histoire et Ie pouvoir masculins. L'ecriture de Bersianik est une coupe iI travers I'utopique des mythes (il n'etonne personne que son prochain volume soit intitule 'I'archeologie du futur'), discours qui joue de !'impossible, du contradictoire , du non-dit, du tabou et tente, magistralement, d'esquisser Ie debut de la symbolique feminine. A noter ici une vertu rare sous tous les cieux, l'humour. Tres different de celui de Villemaire, plus nettement accroche au signifie, a l'ordre semantique qu'au fonctionnement du signifiant, mais present dans les courtes scenes du 'Jazz des nebuleuses.' Il serait impossible d'omettre de ce survol critique les deux tomes d'un des meteores de la poesie quebecoise, Paul-Marie Lapointe. Ecritures (L'Obsidienne, 836) - decade oblige - nous place dans une perspective retrospectiste et nous fait nous souvenir du point d'origine de la trajectoire: Le Vierge incendie. Les points de reference sont les memes, folles associations, jointures illogiques: les choix surrealistes et les determinations automatistes, la desinvolture brutale, hasards phonetiques , phonologiques, lexicaux. La lecture psychanalytique auraH Iii un terrain de predilection. Les deux volumes d'Ecritures avaient ete precedes d'un texte tMorique, 'Histoire d'ecrire: publie dans La Nouvelle Barre du jour, trois ans auparavant. Il est clair it present que ces reflexions annon<;aient un texte it venir, en preparaient Ie balisage: POESIE 53 les mots ne sont plus les messages soumis qui d~sirent, Ie message livr~, reprendre leur place propre dans l'ordre des choses ... les mots ne traduisent pas Ie monde exterieur ... ecrire dans l'ecriture, sans autre referent au monde que Ie. mots. Le poeme de- parle, parle seu!. On peut eire de la nouvelle ecriture sans signer des manifestes ou preter sa presence a ses colloques. L'appartenance de Lapointe a cette recherche, ace travail en corps acorps avec les mots est explicite dans ses ecrits. Nouveaux pour lui sont ces explorations du concretisme, ces echafaudages et epaisseurs de mots, qui 5'entrecroisent, 5'agglomerent et se detachent dans la joie spatiale de la page. 115 demontrent une ouverture, chez cet auteur qui a depasse la cinquantaine, atous les possibles verbaux, l'acquisition d'une jubilation typographique et visuelle absente du Vierge incendie ou du Reel absolu. Ecritures est un monument d'hieroglyphes, de mythes qui ont edate en idiomes pluriels et sement les murs de l'histoire. C'est un livre que les rescapes d'une Apocalypse aimeraient recuperer parmi les decombres, pour Ie dechiffrer et se souvenir des fragments de leur civilisation disparue. Si I'on cherche des ecrits tMoriques autant que de la pratique poetique, c'est du cote des Forges qu'il faut regarder celte annee. Pour commencer parla pratique, il faut se pencher sur Iei la parolejusqu'd mesyeux (65, $3.50) de Pierre Desruisseaux, un volume qui echappe aI'actualite, aux modes, ii la vogue de ce qui se fait - ou ne se fait plus. Economes, laconiques jusqu'a la simplicite schematique du minimal, ses mots se detachent petits dans I'immensite de toute une blanche: Pourtant la pierre cette maison qui porte ton nom camme avant la parole Desruisseaux condense, synthetise les sensations sans effort apparent. Son verbe est l'envers du bavardage, du defoulement, du recydage. Le ciseleur et Ie tailleur de pierre y sont aI'(EUVre: Je pense atei tu es un lac plus Tien desormais ne viendra deranger la quietude que Ie chant des oiseaux ou Ie bruit d'une pierre qui devale la montagne. Une voix tres differente nous parvient avec Les Feuillets embryonnaires (Editions des Forges, 65, $3.50) de Jocelyne Felx, lignes qui retracent une 54 LETTERS IN CANADA 1980 gestation et une naissance - sujet qui a jusqu'a present moins inspire les feministes que Dieu, Ie mythologique ou la subversion. Indubitablement c'est un verbe qui est exigeant, souvent difficile, love a tel point sur lui-m~me qu'il fait regretter les distances entre Ie texte et Ie soi que certaines ecrivaines reussissent a demarquer. Pourtant Ie territoire qu'il decoupe n'a ete que peu semantiquement explore jusqu'alors, surtout en poesie oil. L'Amer (1978) de Brossard est un premier jalon, mais plus ideologique que perceptuel, plus tMorique que sensue!. C'est cette seconde qualite qui appartient a Jocelyne Felx et qui pr~te a ses mots un poids et un relief particuliers: U-bas l'enfant du ventre rit encore avec les Muppets de jolie bure amniotique. Leurs impermeables burent la pluie de l'interieur et du lointain contrepoids de l'astre qui I'a provoquee detentrice deja de son capital d'erotisme. nrit et son creur bat quand un grand Tarzan poursuit quelque crocodile dans les indispositions de mon sensible estomac qui Ie surplombe et ses rencontres concertees camme des figures de danse. Du pOint de vue theorique, deux volumes, toujours aux Forges, appellent notre attention sur les processus de lecture et d'ecriture. Simulacre dictatoriel (70, $3.50) d'Yves Boisvert et nte de lecture (76, $3.50) de Bernard Pozier. Le premier reprend les arguments de la lectureperformance , de la lecture-participatoire, rien de terriblement nouveau depuis L'CEuvre ouverte d'Eco. nte de lecture est plus provocante et corollaire attendu - plus hermetique. Pourtant il y a la des intuitions sur trente ans d'ecriture qui nous font respecter Ie jugement de leur auteur. En commentant les textes de I'amour et du pays (recupere ce dernier par les politiciens) et sur Ie formalisme, qui 'baillerait ses derniers points de suspension: en cette annee oil. la boussole marque Ie 80, Pozier conclut qu'il n'y a plus ou qu'il n'y a pas de nouvelle ecriture mais seulement un mur de briques, echafaudelentement, qui nous empeche de voirla grande tour de Babel de tous les textes. Intuition decapante. Qu'est-ce que Ie pan de la tour revele a nos yeux en 1980? Au-dela de la mort du pays et de l'amour, par dessus les convulsions de la nouvelle ecriture et les audaces d'une sexualite qui aime les mots, une poesie qui vit, survit aux vogues et se vrille vivace dans ce pays qui ne s'est pas encore - en cette annee-Ia - voulu nation. ...

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