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  • Les think tanks en campagne
  • Mathieu Laurent (bio)

La surface médiatique occupée par les « think tanks »1 n’a cessé de croître ces dernières années, de manière exponentielle2, avec pour conséquence un certain effet de « mode », ne permettant pas toujours aux commentateurs de disposer d’un recul suffisant pour comparer sérieusement les think tanks anglo-saxons à leurs homologues français. Que ce soit la Fondation Terra Nova, l’Institut Montaigne ou la Fondation pour l’innovation politique, ils restent relativement peu visibles dans le champ politique français et demeurent à un stade embryonnaire de développement par rapport à des organisations telles que la Fondation Héritage3. Historiquement, les cercles de réflexion français ont davantage emprunté la forme du club politique4, relativement informel et mal armé financièrement, d’où une durée de vie souvent éphémère ; c’est seulement la dernière génération de cercles de réflexion, qui se créent à partir de la fin des années 1990, qui imite de manière partielle les modèles américain et britannique5. Relativement peu étudiés jusqu’à présent, les think tanks français suscitent une certaine incompréhension chez les auteurs anglo-saxons6, qui éprouvent parfois des difficultés à saisir les subtilités d’un système politique davantage centralisé, dans lequel une partie non-négligeable des organes de réflexion est intégrée à l’appareil étatique.

Des organismes tels que le Conseil économique, social et environnemental, ou les think tanks spécialisés dans les relations [End Page 59] internationales (tels que l’Institut français des relations internationales, le think tank français le plus cité dans les classements et études portant sur ces organisations) ne retiendront pas notre attention ici, car ils n’ont pas vocation – du moins directement – à influencer la construction des programmes et des projets des partis politiques. On tentera de placer la focale sur les cercles de réflexion qui se proposent de modifier le « politiquement imaginable » en formulant des propositions innovantes, voire radicales, en matière économique, culturelle ou encore de réforme des institutions. La question de l’influence des propositions des think tanks sur les projets politiques soulève une série d’interrogations quant à l’appréhension, la mesure du rôle des idées dans le champ politique. Deux auteurs résument les problèmes liés à cette question :

Pour Peter H. Schuk : « Il y a des pièges à mettre l’accent sur le rôle causal des idées en politique. Comparées au vote, aux institutions, aux intérêts, aux événements, et autres phénomènes palpables que les politistes peuvent observer et mesurer, les idées sont insaisissables et leurs effets sont difficiles à mesurer. Les idées peuvent altérer simultanément ce que les acteurs politiques perçoivent et les buts qu’ils poursuivent. En même temps, les acteurs peuvent déployer les idées à la fois rhétoriquement et instrumentalement. Ainsi, le rôle des idées en politique doit être révélé par la déduction et le témoignage des acteurs les plus engagés. Nous avons raison d’être sceptiques vis-à-vis d’une telle preuve, mais il serait idiot de l’ignorer simplement car elle est moins tangible et quantifiable7 ».

D’après Daniel Béland, « Malgré l’essor récent de la littérature sur les think tanks, il s’avère toutefois difficile d’évaluer la portée de leur réflexion sur la politique des retraites. Trois facteurs rendent compte de cette difficulté :

  1. a). Le faible nombre d’études empiriques précises ;

  2. b). L’aspect souvent polémique des travaux disponibles ;

  3. c). La nature même de ces organisations, qui ne possèdent aucun statut officiel dans le système politique américain. En raison de ce statut politique informel, il est tentant de leur attribuer un pouvoir mystérieux8 ».

Pour autant, ces difficultés réelles ne sauraient dissuader un effort de compréhension et d’analyse concrète des tentatives des think français pour diversifier...

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