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  • Symposium critique Tocqueville, nouveaux aperçus
  • Christian Bégin (bio)
Jon Elster, Alexis de Tocqueville, The First Social Scientist, Cambridge University Press, 2009, 202 pages.
Richard Swedberg, Tocqueville’s Political Economy, Princeton University Press, 2008, 342 pages.

Les deux auteurs examinent la manière de penser de Tocqueville, mais sous des angles fort différents. Jon Elster analyse comment il rattache les comportements sociaux aux sentiments de l’individu. Sous la plume de Richard Swedberg, il se sent trop à l’étroit dans l’économie politique.

Tocqueville, Précurseur De L’individualisme Méthodologique

Certains voient en Tocqueville un théoricien de la politique, d’autres un philosophe, d’autres encore un économiste. Jon Elster, quant à lui, trouve surtout dans la Démocratie en Amérique et dans L’Ancien régime une certaine manière d’analyser les causes des événements sociaux, et il consacre son dernier ouvrage à montrer le [End Page 217] caractère novateur pour l’époque, et encore utile aujourd’hui pour les chercheurs en sciences sociales, de l’approche tocquevillienne des comportements de l’homme en société.

La première moitié de son Alexis de Tocqueville, The First Social Scientist, est la plus analytique, et, même si le lecteur n’est pas un spécialiste des sciences sociales, la plus stimulante. Elster commence, de manière un peu abrupte par se placer du point de vue de ce qu’il appelle la formation des préférences (preference formation), qui fait souvent intervenir l’importance que les individus attachent au long terme par rapport au court terme, ou leur plus ou moins grand goût du risque. Il classe en trois catégories les différents mécanismes de formation de ces préférences qu’il trouve chez Tocqueville, parlant d’effet d’entraînement (spillover effect), d’effet de compensation » (compensation effect) et d’effet de satiété (satiation effect). Ainsi, exemple d’effet d’entraînement, les Américains, dit Tocqueville, « transportent » leurs habitudes de la vie publique dans la vie privée. Exemple d’effet de compensation : alors que dans une démocratie les hommes respectent la religion pour les réponses qu’elle apporte à des questions qui dépassent leur entendement, dans les pays despotiques ils s’en éloignent pour se décharger de la frustration d’être privés de liberté en matière politique. Exemple enfin d’effet de satiété : dans les sociétés démocratiques, la vie privée est si accaparante, si on en croit la fin de deuxième Démocratie, que les individus n’ont plus assez d’énergie pour participer aux affaires publiques. Tout au long de son livre, Elster fournit quantité d’autres exemples de chacun de ces types de formation des préférences.

Recherche-t-il plus profondément l’origine des préférences ? Il examine dans le chapitre suivant la formation des croyances politiques, religieuses et idéologiques, sans que la frontière soit toujours bien claire, semble-t-il, entre préférences et croyances. Confronté dans les trois premiers chapitres de la Démocratie à des affirmations contradictoires, Tocqueville disant ici que les Américains fondent leurs croyances sur la raison, et là qu’ils se conforment à l’opinion publique, il retient que dans la suite de l’ouvrage Tocqueville fait très souvent intervenir la pression déterminante de cette opinion publique sur l’intelligence de chacun. Ses développements à ce sujet, dit Elster, constituent même la partie la plus réussie de ses analyses. C’est celle qui a exercé la plus grande influence sur la science sociale, ou du moins celle qui est la plus fréquemment citée. [End Page 218]

Plus loin, Elster considère les comportements d’un autre point de vue encore, celui du « trio classique des motivations : l’intérêt, la passion et la raison ». Tocqueville, dit-il, ne croit guère à la raison, synonyme de vertu. Il parle beaucoup de l’intérêt, mais même quand il le dit « bien entendu », il ne lui accorde pas un rôle explicatif vraiment significatif. C’est donc sur la passion qu’Elster...

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