In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • "Auf die Bühne gezaubert, dass man erstaunt":cinéma, danse et music-hall au tournant du 20e siècle
  • Laurent Guido (bio)

Souvent perçue comme l'acte de naissance du cinéma allemand, la célèbre projection des frères Max et Emil Skladanowsky, donnée au Wintergarten de Berlin le 1er novembre 1895, s'apparente en fait moins à un point de départ qu'à un événement emblématique où se cristallisent des aspects et des problématiques caractéristiques de l'émergence du médium filmique. En témoigne notamment la place cruciale occupée, au sein de ce programme de films, par des sujets exploitant diverses formes de performances physiques (danse, gymnastique, acrobatie …). Au tournant du siècle passé, le développement phénoménal du spectacle cinématographique se produit en effet dans un contexte marqué par l'essor d'une vaste réflexion autour du mouvement corporel, à la croisée de préoccupations liées aussi bien à la science qu'à l'utilitarisme social, l'esthétique ou le divertissement populaire. Les rapports entre ces deux formes d'"écriture du mouvement" que sont la cinématographie et la chorégraphie frappent alors par une grande diversité d'aspects dont la prise en compte s'avère très féconde, non seulement pour la connaissance approfondie du cinéma des premiers temps, mais plus largement pour l'histoire culturelle des images animées. Pour mieux saisir les enjeux de la séance Skladanowsky au Wintergarten, en particulier son appropriation remarquable de motifs liés à la danse ou à d'autres formes canoniques d'attraction gestuelle, il est nécessaire de la situer vis-à-vis des multiples traditions visuelles auxquelles elle fait écho. Dans cet article, je vais par conséquent examiner la relation intermédiale engagée autour de 1900 par le cinéma avec d'autres modes de représentation du corps en mouvement. Les films Skladanowsky ne seront pas seulement abordés par le biais de leur confrontation à des problématiques internes au champ cinématographique (telles que la tradition plus "réaliste" des Frères Lumière, ou l'institutionnalisation progressive des pratiques du montage narratif), mais surtout mis en rapport avec des discours et des pratiques qui inscrivent, sur un plan plus international, le cinéma dans diverses traditions spectaculaires et scéniques, plus spécifiquement celle, alors très influente, du music-hall.

Lorsqu'en 1847, le magicien Ludwig Döbler insère une image de danseur dans ses projections de dessins en mouvement au Theater an der Josephstadt de Vienne (Rossell, "The Public Exhibition" 168, 178–79), il ne fait que prolonger [End Page 205] une pratique assez répandue. Le recours aux figures chorégraphiques est effectivement fréquent dans les listes de sujets pour divers jouets optiques et systèmes de reproduction du mouvement à partir d'images fixes, comme le zootrope et, surtout, le phénakistiscope et ses dérivés – le Phantascope utilisé par Döbler ou le Fantascope anglais qui propose dans les années 1830 un couple de valseurs (Deslandes 38–39). L'un des principaux concepteurs de cet appareil, Joseph Plateau, avait d'ailleurs placé sur son premier disque pour phénakistiscope (1832) un danseur effectuant une pirouette, exemple que le chercheur avait choisi de détailler dans sa correspondance scientifique (voir Mannoni, Le grand art 203–05). Chez ceux qui projettent des photographies en mouvement, les motifs utilisés – un couple valsant et la pirouette d'un acrobate japonais pour le Phasmatrope de l'Américain Henry R. Heyl en 1870 (Deslandes 77); une valse d'enfants pour les diapositives à grande vitesse de Jean Aimé Le Roy, instantanés saisis en 1876 (von Zglinicki 213–14) – demeurent résolument ancrés dans le catalogue typique des disques pour phénakistiscope. Ce même répertoire sera encore exploité par Emile Reynaud (ses premiers sujets isolés pour praxinoscope, vers 1877, comportent un équilibriste, un trapéziste et un jongleur, voir Deslandes 47: Talon 491, 497), et même par Eadweard Muybridge dans certains de ses dessins pour zoopraxiscope (on y trouve notamment un couple de valseurs, tiré de la plaque...

pdf

Share