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YYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYY L’ÉCHEC C’EST MOI ET CE N’EST PAS MOI: PALUDES OU L’ANGOISSE DE LA RÉCEPTION MATTHEW ESCOBAR L’ŒUVRE d’André Gide révèle, depuis les premiers textes publiés, une préoccupation pour l’effet que pouvait avoir son écriture sur ses lecteurs – au début très peu nombreux mais proches. Convaincu qu’il était dès le début qu’elle avait un rôle primordial à jouer à la fois dans la révélation de son caractère ainsi que dans le développement de “ moi possibles ”, la question de la réception de l’œuvre est vite devenue pour Gide à la fois cruciale et épineuse. L’œuvre satirique Paludes, publiée en 1895,1 constitue dans la carri ère de Gide une charnière entre sa période symboliste et un nouveau départ caractérisé par un lien viscéral avec l’écriture dont il venait de formuler les principes. Vue comme une œuvre dont l’ironie marque un moment important dans l’histoire du roman (Yaari), comme une œuvre renfermée et marquée par la figure de l’aporie (Masson, Goulet, Genova , Constant) ou bien comme œuvre ouverte à “ l’infini du sens ” (Calin, Bertrand, Genova) et plus récemment comme un texte qui subvertit le sujet moral (Due), Paludes marque le moment où Gide reconnut, pour la première fois de façon explicite, le rôle crucial du lecteur dans sa production romanesque. Seulement un an avant, il avait formulé dans un passage célèbre de son journal sa théorie de la transposition du “ sujet même de [l’]œuvre ” au niveau des personnages.2 Sa technique, nom1 Selon le premier tome de l’édition de la Pléiade du journal de Gide, il écrivit Paludes à La Brévine, à partir de l’automne 1894, le terminant le 5 décembre 1894. Il fut publié pour la première fois en mai 1895. Cette œuvre date donc de quelques mois après le voyage libérateur en Algérie où il put, pour la première fois, vivre son homosexualité de façon ouverte. 2 Voici le célèbre passage du 9 septembre 1893 du journal de Gide “ J’aime assez YYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYYY 153 mée ultérieurement par les critiques “ mise en abyme ”, est souvent caractérisée comme celle du “ roman dans le roman ” ou bien du “ roman du roman ”. L’essentiel pour Gide était de générer un mouvement par lequel le lecteur passait du contenant au contenu (et vice versa) constamment, chaque passage entraînant une nouvelle perspective sur l’un et l’autre. Paludes, qui met en scène un personnage, auteur d’une œuvre éponyme qui en plus tient un journal détaillé du vide de sa vie, représente ainsi une étape clé aussi bien dans la trajectoire de Gide que dans celle du roman du début du vingtième siècle. C’est dans cette œuvre du jeune Gide que nous voyons donc mises en pratique deux techniques qui, trente ans plus tard, seront utilisées dans son célèbre roman Les Faux-monnayeurs : la mise en abyme et l’écriture diariste. Or, il ne serait pas déplacé de noter qu’un journal est en soi une forme de répétition – l’écart et la tension entre le vécu et l’écrit étant également une des obsessions de Gide.3 Grand spécialiste de la pratique diariste gidienne, Éric Marty souligne que, pour Gide, le rapport entre le journal et la vie n’est pas celui qu’on pourrait penser. Ainsi, ce n’est pas le réel (le vécu) qui doit venir en aide à l’écrit, mais bien le contraire. Marty offre cette définition du journal gidien : “ lieu géométrique où s’expérimente la vérité, – lieu géométrique, c’est-à-dire, comme le spécifie Gide lui-même, un espace défini par le rapport de chaque partie à une autre. ” (142). Et il ajoute : “ C’est là une définition parfaitement claire de la vérité qui s’oppose à celle que les Goncourt...

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