In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Europe de l'Ouest
  • Bruno Thibault

Œuvres de création

Chevillard, Éric. Iguanes et moines. Saint Clément de Rivière: Fata Morgana, 2011. ISBN 9782851948007. 49 p.

Né en 1964 à La Roche-sur-Yon, Éric Chevillard est l'auteur d'une quinzaine de romans et récits minimalistes, souvent très drôles, tous publiés aux éditions de Minuit, de Mourir m'enrhume (1987) à Choir (2010). Éric Chevillard est aussi l'auteur d'un blog intitulé L'Autofictif qui propose chaque jour trois courts fragments ou trois petites anecdotes de quelques lignes, une sorte de "journal extime" avec des observations sur la vie quotidienne et des ébauches de fiction (ce blog a été ensuite publié en quatre volumes chez L'Arbre Vengeur: L'Autofictif (2009), L'Autofictif voit une loutre (2010), L'Autofictif père et fils (2011) et L'Autofictif prend un coach (2012). Iguanes et moines, un mince volume publié chez Fata Morgana et illustré par Philippe Favier, se caractérise par son projet poétique délibéré mais dérisoire, inscrit dans un riche palimpseste mais sur le mode parodique. L'écrivain y définit son positionnement scriptural et auctorial de la façon suivante:

C'est parti allez je me lance je me lance dans la poésie à quarante-cinq ans il est grand temps [. . .] je dois pouvoir encore rassembler mes restes risquer ce geste obsolète tête en avant et laissant sous moi le sol rassurant jeter mon être par cette fenêtre sentir le ciel à tout vent qui se dérobe et toucher le fond de l'espace voir ce qui se passe et comment [. . .] j'y suis allez je me lance me balance et d'emblée j'y suis en freelance en frisbee dans la poésie à croire que j'étais fait pour ça [. . .] lancé sans appuis sans façons dans la poésie bon j'y suis [. . .] je me suis lancé à quarante-cinq ans je peux être encore météore ou comète comme un poète mort il n'y a d'autre vie que celle-ci.

(15)

On notera que le fameux "la vraie vie est ailleurs" de Rimbaud revient sous la plume de Chevillard avec une sorte de dérision ou de déflation, "il n'y a d'autre vie que celle-ci," qui semble annoncer déjà l'échec de la quête poétique et du projet textuel. D'autre part, on notera l'image originale du poète "free-l ance," c'est-à-dire franc-tireur: une sorte de rappeur postmoderne, dont la parole est emportée par la vitesse et par l'accélération, animée par un rythme aléatoire et heurté, lancée par à-coups et au coup par coup. Tout le recueil d'Iguanes et moines se caractérise en effet par cette sorte de fuite en avant du discours et par l'absence totale de ponctuation. Associée à la question de l'improvisation, la question du positionnement auctorial est donc nettement posée et comme [End Page 220] soulignée par le rythme même de ces textes brefs et fragmentés, par le "phrasé" même de l'énoncé. Certes, il existe ici et là des pages qui appartiennent au narratif, qui construisent une anecdote, un récit plus ou moins convaincant. Mais en général le flux du texte a pour effet de subvertir, de saborder, de miner ou d'éliminer le narratif. Ainsi, dès le préambule d'Iguanes et moines, Chevillard déclare avec humour qu'on n'ira pas plus loin et que le récit, encore proche de l'origine, tourne déjà en rond: "Récapitulons, jamais assez tôt, faute de quoi ainsi se perdit le récit de l'origine et depuis bon dieu ça patine" (10). Il est clair qu'Iguanes et moines joue avec la lubie narrative, voire l'hybris narrative. Le récit patine sans cesse, et c'est précisément en tordant le cou au narratif que l'auteur ébauche sa poétique. D'autre part les textes rassemblés dans ce volume sont saturés...

pdf