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  • L’océan IndienDeux “Classiques” Mauriciens de l’époque Coloniale, Polyte et Grand Port.
  • Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo
Mérédac, Savinien. Polyte. Paris: Lattès, 2011. ISBN 9782709635721. 220 p.
Martial, Arthur.Grand Port. Port-Louis: Delacour-Martial, 2010. Sans ISBN. 268 p.

Après la réédition de La Poupée de chair (1931) d’Arthur Martial en 2002, et de la nouvelle “Labec-Bouloire” (1930) de Savinien Mérédac en 2003 aux éditions Alma, le travail d’exhumation des œuvres coloniales mauriciennes se poursuit et nous permet de découvrir un grand classique, Polyte (1926), de Savinien Mérédac. L’œuvre était déjà ressortie en 2009 à Maurice à L’Atelier d’écriture. De manière plus locale, profitant des célébrations du bicentenaire de la bataille du Grand Port, les héritiers d’Arthur Martial ont permis la réédition d’un texte moins connu, Grand Port (1938). Ce dernier, peu diffusé, risque d’être éclipsé par la sortie du nouveau roman du Réunionnais Daniel Vaxelaire, intitulé également Grand-Port et publié en 2011 en deux volumes, Le Temps des victoires et Le Temps des frayeurs aux éditions Orphie.

C’est aux deux romans coloniaux mauriciens que nous allons nous intéresser. Bien qu’étant les œuvres d’auteurs “classiques,” ils sont demeurés longtemps peu accessibles. Ces publications permettent enfin de lire directement ces textes, que l’on ne connaissait souvent que de seconde main, et de se rendre compte qu’ils sont profondément révélateurs des conflits et tensions d’une période de l’histoire mauricienne dont la production contemporaine est l’héritière.

Savinien Mérédac (Auguste Esnouf, 1880–1939), grand ami de Martial à qui il dédie son roman, fut ingénieur mais consacra surtout son existence à la vie littéraire: il écrivit de nombreuses chroniques dans la presse, publia romans, nouvelles et, dans le journal L’Essor, des “petits entretiens sur notre patois.” Polyte constitue une sorte de “tragédie chez les subalternes.” Le “Créole” (le Noir, au sens mauricien du terme) Polyte Lavictoire, qui n’a pas eu d’enfants de son premier lit, épouse en secondes noces la jeune “négresse Mozambique” Becca. Polyte est un pêcheur enrichi qui possède une petite terre. Homme rugueux, irritable et dur, ce qui lui a valu le surnom de “Grand-Guèle,” il mène son monde d’une main de fer et en particulier son épouse, présentée comme soumise et vaguement bestiale. Comme elle ne lui donne pas non plus d’enfants durant trois ans, il la pense stérile et la tient dans un mépris total jusqu’à ce qu’un jour où il rentre plus tôt de la pêche, il voie s’éloigner de chez lui Quincois, un Malabare (Indien), “race” honnie pour lui. Il tient pour acquis l’adultère de sa femme, ce que lui confirment sa grossesse et la naissance d’un garçon, Samuel, dont le teint et les cheveux rappellent ceux de l’Indien. La montée tragique se fait intense et étouffante, l’épouse comme le lecteur attendant l’inéluctable vengeance de cet [End Page 309] homme ombrageux. Ce n’est que quinze ans plus tard qu’il profitera d’une sortie en mer par gros temps pour jeter son fils et Quincois à la mer et les noyer. Il ne lui reste plus qu’à vendre la terre à laquelle il tenait tant et à abandonner sa femme sans ressources pour jouir d’une vengeance complète.

Le roman repose sur la cruauté du personnage, qui ne se dément jamais, et sur les tourments de sa conscience qu’un discours indirect libre emporté nous laisse entendre. Mais la perspective de l’auteur est toujours surplombante et tient ses protagonistes dans une condescendance qui empêche toute empathie à leur égard. La brutalité fruste de Polyte et son âpreté au gain l’enferment dans un isolement dont le lecteur n’a nulle envie de le tirer. Il n’éprouve pas plus d’attirance pour Becca, docile et presque inexistante, que pour Samy qui, après avoir été un doux enfant...

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