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  • Introduction: Plaidoyer pour l’analyse des pratiques scripturales de la migrance dans les littératures contemporaines en français
  • Marianne Bessy (bio) and Catherine Khordoc (bio)

Dans ce numéro de Nouvelles Études Francophones, nous voulons nous pencher sur la question de l’écriture migrante, terme employé de manière de plus en plus répandue pour évoquer, sous une forme ou sous une autre, la littérature produite par des auteurs ayant connu l’expérience de l’immigration. Or, cette définition bien sommaire ne rend pas justice au phénomène littéraire qui nous intéresse, car l’écriture migrante renvoie bien trop souvent, justement, au parcours de l’écrivain qui a immigré, aux dépens d’une attention plus directe au travail créatif. On attribue plus d’importance à l’élément “migrant” de l’expression qu’à celui d’“écriture.”

C’est pour cette raison que nous voulons ici remettre les pendules à l’heure pour examiner une écriture qui est elle-même migrante, mouvante, transitoire, interstitielle, sans nécessairement se fier strictement aux origines de l’auteur. Certes, il faut se poser la question: l’écriture migrante doit-elle être écrite par l’écrivain ayant connu l’immigration? Ne pourrait-on pas imaginer une écriture qui met en scène des géographies, des langues, des entre-deux, sans que l’auteur ait immigré? N’est-ce pas là le ressort de la littérature? Il est tout à fait possible, à notre sens, pour un écrivain d’inscrire des éléments “migrants” dans ses œuvres même s’il n’a pas vécu l’immigration directement.1

Il n’est pas question de nier l’apport du vécu au travail littéraire. Certainement, les expériences liées à l’immigration, que celles-ci relèvent de traumatisme ou de réjouissance—et dans bien des cas un peu des deux—alimentent le processus créatif et laissent des traces dans l’écriture, que ce soit au niveau, entre autres, de la langue, de l’intertextualité, des structures narratives et des thèmes. Mais il est important de rappeler qu’un écrivain qui a migré n’est pas qu’immigrant et qu’il est aussi possible pour un écrivain qui a connu l’immigration de parler d’autres choses dans ses œuvres. Il est trop facile de reléguer la [End Page 1] production de l’auteur qui a immigré à la catégorie d’écriture migrante à tout jamais, faisant fi de ce qu’il écrit et de ce dont il traite dans ses œuvres. Cela peut sembler évident, mais nous insistons là-dessus afin de mieux cerner l’objet d’étude qui sert de fil conducteur entre les articles faisant partie de ce dossier: les œuvres qui sont analysées dans les textes qui suivent mettent en scène concrètement et singulièrement des pratiques scripturales qui font allusion aux tensions et aux réflexions qui surgissent lorsque l’identité, l’appartenance, la langue, les connaissances culturelles ne sont plus partagées par une collectivité et réclament une remise en question.

Nous nous devons, donc, de revenir sur l’expression “écriture migrante” pour insister sur le fait que c’est l’écriture même qui se trouve qualifiée de l’adjectif et non pas l’écrivain. L’écrivain peut avoir immigré, mais n’écrit pas nécessairement—ou pas toujours—des textes qui peuvent être considérés comme des exemples d’écriture migrante. Mais lorsque l’écrivain choisit d’écrire la migrance, c’est souvent au niveau de la forme et de l’écriture même que se révèle cette préoccupation et c’est ce que nous voulons mettre en valeur dans ce dossier. Cette volonté d’insister sur les pratiques scripturales de la migrance littéraire ne contredit d’ailleurs pas les idées dont s’inspiraient les critiques à l’origine du terme.

Il n’est pas étonnant que l’expression “écriture migrante” ait vu le jour au Québec. Pas étonnant, certes, mais d’autres lieux, d’autres contextes, d’autres chercheurs auraient pu aussi donner naissance à cette expression, car le phénomène, bien...

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