Escales en mer indienne. Comores, Madagascar, Maurice, La Réunion, Seychelles, and: Îles de l'océan Indien (review)

Les littératures de l'océan Indien, largement confidentielles, commencent à sortir de l'ombre dans laquelle elles étaient tenues. Ces deux anthologies récentes témoignent à la fois de ce regain d'intérêt et de la richesse de la production des îles du sud-ouest de l'océan Indien. Ces ouvrages illustrent l'hétérogénéité des langues, formes, modes de production, influences de ces littératures. Ils échappent à la tentation de construire une unité "india-océane," nécessairement artificielle et factice dans un espace pluriel qui, par ailleurs, s'ignore encore largement. Comme le souligne Jean-François Samlong, "Le silence interîlien, dans le domaine culturel, est assourdissant. Embarrassant. Mais c'est la vérité" (Riveneuve continents 11). Ces deux anthologies ont donc l'ambition de donner une voix aux diverses îles du sud-ouest de l'océan Indien, à Maurice, la plus connue, mais aussi à La Réunion, Madagascar, Les Comores, les Seychelles. Carnavalesques propose un texte sur Rodrigues, île mauricienne, et prend soin de dissocier Mayotte du reste de l'archipel des Comores pour mieux rendre compte de la particularité géopolitique de cette île, en passe de devenir département français. Si l'on retrouve plusieurs auteurs en commun entre les deux revues (Sedley Richard Assone, Catherine Boudet, Sœuf Elbadawi, Salim Hatubou, Yusuf Kadel, Hery Mahavanona, Jean-Luc Raharimanana, Johary Ravaloson, Umar Timol), elles n'offrent pas la même entrée dans ces littératures.

Escales en mer indienne est le numéro 10 de la revue Riveneuve Continents. Malgré son sous-titre "Comores, Madagascar, Maurice, La Réunion, Seychelles," il fait la part belle à Maurice, dont la littérature est déjà la plus largement diffusée. Dans ce volume sont associés des textes divers: entretiens, extraits de BD, de romans, de nouvelles, textes poétiques, réflexions sur certaines îles, portraits d'auteurs … Ils sont écrits par des auteurs aussi bien débutants que confirmés voire par un auteur nobélisé, puisque le volume comporte deux interventions de Le Clézio et un article sur lui. Cette hétérogénéité rend compte de l'hybridité des sociétés, des peuples et des cultures de l'océan Indien, qui "a toujours été un lieu de passage, véritable carrefour de fertilisation croisée des imaginaires collectifs" (Dijoux 93). Mais la pluralité des formes et des thèmes des textes choisis a un revers: l'anthologie tourne au "kaléidoscope" comme le mentionne la quatrième de couverture, avec ce que cela suppose de collage et de manque de perspective. Le principe de classement n'est pas explicité et ne répond ni à un ordre alphabétique, ni à une logique géographique. Il est laissé à deviner au lecteur qui découvre à son gré des constellations de textes: réflexions d'auteurs sur leurs îles respectives, leurs pesanteurs historiques, leur situation politique qui les empêche de s'émanciper (Asgarally, Samlong, Le Clézio, Raharimanana, Dijoux …); témoignages d'actualité sur les "événements" de Madagascar de 2009 (Ravaloson, Soa Hélène), sur la famine du sud malgache et les opérations humanitaires (Mouyon), sur le crash de l'avion de la compagnie Yemenia aux Comores en 2009 (Hatubou). Plusieurs textes sont consacrés à des figures d'auteurs et d'artistes, tous mauriciens: Marie-Thérèse Humbert sur Edouard Maunick, Le Clézio sur Malcolm de Chazal, Antoine de Gaudemar sur Le Clézio, Gillian Geneviève sur Robert-Edward Hart. Les textes de fiction, prose et poésie mettent l'accent sur le "Paradis Blues" (Patel 55), sur le désarroi d'îles dont sont explorés la misère, les désordres politiques, l'hypocrisie...