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Reviewed by:
  • La Poétique romanesque de Joris-Karl Huysmans
  • Warren Johnson
Guérin-Marmigère, Stéphanie . La Poétique romanesque de Joris-Karl Huysmans. Paris: Honoré Champion, 2010. Pp. 530. ISBN: 978-2-7453-1992-0

L'une des caractéristiques des textes de Huysmans qui saute aux yeux du lecteur inaverti, c'est la prolifération de mots rares. Ce tic linguistique, critiqué du vivant de l'auteur d'À rebours notamment par son mentor Zola, s'explique par la volonté de Huysmans de forger un style "bizarre" selon son propre dire qui marquerait son texte comme littéraire. Mais d'autre part, ce vocabulaire recherché participe d'une rupture d'avec les normes romanesques des années 1870 et 1880, y compris le roman feuilleton, le roman romantique et le roman idéaliste de même que le roman naturaliste. [End Page 188] C'est cette réponse de Huysmans à la "crise du roman" (M. Raimond) qui est au cœur de l'étude de Stéphanie Guérin-Marmigère, premier ouvrage consacré à sa poétique depuis 1934 et ainsi premier à bénéficier des outils de la théorie récente tels que la narratologie.

Pourtant, loin d'être une analyse purement formelle, bourrée d'exemples relevés par ordinateur comme on pourrait le craindre, cette étude cherche à analyser les rapports entre la forme et le fond, en particulier le "mouvement centripète" dans son œuvre vers l'intériorité et la religion dont le lexique forme un élément constitutif. Le point de départ de S. Guérin-Marmigère est que l'évolution thématique et stylistique de Huysmans n'implique pas un rejet total du naturalisme, mais un approfondissement et une intériorisation du même désir de représenter le réel qui se trouve dans le roman zolien. Cette présupposition doit être fondée principalement sur un examen de sa production littéraire, Huysmans n'ayant quasiment pas écrit pour la publication de textes polémiques ou théoriques.

Cette production—Huysmans préférera les termes de livre ou bouquin à celui de roman pour désigner ses œuvres qui sont en effet des hybrides génériques—est marquée par un abandon de l'intrigue comme séquence de rebondissements. Comme le montre la deuxième partie de cette étude, Huysmans rejette le rôle traditionnel de l'incipit comme exposition et celui de la conclusion, qui est chez lui fréquemment circulaire, comme dénouement à surprises. La progression diégétique du "romanesque" cède la place à un immobilisme, évident dès À vau l'eau et À rebours. Au principe organisateur de la causalité dans le roman réaliste et naturaliste, basée sur la rationalité, se substituent l'épisodique et la répétition. Le conflit extérieur est biffé en faveur d'une lutte intérieure avec la foi.

Cette intériorisation du conflit dans les personnages, objet d'analyse dans la troisième partie du livre, s'accompagne d'un brouillage des points de repère traditionnels du roman. Huysmans diffère les descriptions physiques de ses personnages, néglige leur histoire personnelle (effaçant ainsi l'accent sur l'hérédité chez Zola) et même a tendance à les réduire à des caricatures. Ces anti-héros, hésitants, souffrants ou abouliques, peuvent néanmoins impressionner par leur érudition, que le narrateur se complaît souvent à étaler devant le lecteur. Le personnage huysmansien—le singulier s'impose, car son créateur avouera que Florentin, des Esseintes et d'autres sont en effet le même individu transporté dans des milieux différents—a une optique très subjective et reste détaché des circonstances historiques.

L'espace et le temps de l'œuvre de Huysmans, analysés dans la quatrième partie de l'étude, sont moins référentiels comme dans le roman naturaliste qu'intimes et individualisés. Après les premiers romans, le milieu devient un reflet des personnages par une focalisation interne et le temps acquiert un caractère sacré lié à la perception individuelle. S'appuyant notamment sur la terminologie de Dorrit Cohn, Guérin...

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