Balzac géographe: Territoires (review)

Après l'histoire, la géographie, après l'historien, le géographe. Après avoir consacré en 1999 l'un de ses colloques à Balzac dans l'Histoire (voir notre compte rendu, NCFS 34 : 1-2, automne-hiver 2005-06, p. 176-80), le Groupe International de Recherches Balzaciennes a tenu, à Tours en 2003, le même pari, mû par un même souci d'interdisciplinarité: favoriser le dialogue entre des littéraires et des spécialistes des sciences humaines autour de l'oeuvre balzacienne. Il en résulte un diptyque dont cet ouvrage n'est qu'un volet, l'autre étant constitué par une livraison intitulée "Balzac voyageur. Parcours, déplacements, mutations" de la revue Littérature et nation (Tours, n° 28, 2004, textes réunis et présentés par Nicole Mozet et Paule Petitier).

C'est autour de la notion affichée en sous-titre de "territoire," qui traverse les disciplines - notion juridique, politique, symbolique et sans aucun doute plus idéologique que celle, plus narratologique, d'espace romanesque -, que les vingt contributions de ce volume sont réparties en deux sections. Loin de tout thématisme, loin de toute lecture mimétique considérant le roman comme reflet d'un réel extérieur, antérieur et plein, elles s'intéressent aux problèmes de la figuration spatiale, et davantage à la déspatialisation des espaces qu'à leur référentialisation.

En ouverture à la première partie intitulée "Problématiques et politiques du territoire," les étourdissantes "variations géocritiques" d'Henri Mitterand sur la terre, le terrain ("forme tactique que prend la terre lorsqu'elle entre en guerre," 21) et le territoire dans Les Chouans, entretissées au politique, au militaire et à l'amoureux selon des configurations spatiographiques qui participent de la "poétique [balzacienne] du territoire" (24), cadrent la visée collective de l'entreprise ("Terre, terrain, territoire. Variations géocritiques balzaciennes"). Elles sont suivies par quelques études qui portent sur les références et les emprunts que fait Balzac à la géographie, à la biogéographie et aux sciences naturelles. Celle de Claudine Cohen ("Balzac et l'invention du concept de milieu") et celle de Patrick Matagne ("Les espèces sociales et leurs milieux ou l'écologie sociale balzacienne") s'intéressent tout particulièrement à la notion de "milieu," que l'on rencontre chez Buffon autant que chez Lamarck, chez Cuvier autant que chez Geoffroy Saint-Hilaire, que Balzac "transpose" dans son oeuvre et "impose" à la littérature: le milieu devient territoire humain. Sébastien Velut recompose l'attitude de Balzac face aux trois branches de la géographie naissante en son temps et constate en retour que "l'écriture balzacienne [. . .] a profondément influencé les géographes francophones, à commencer par Paul Vidal de La Blache" (53); "les liens" de Balzac avec la géographie résideraient "dans son goût pour les questions pratiques, sa sensibilité aux changements de la France sous la Restauration et bien sûr ses descriptions" ("Savante ou sauvage. La géographie dans La Comédie humaine," ibid.).

Pensé comme une portion d'espace sur laquelle une nation, une communauté, un groupe, voire un individu fonde son origine et son appartenance, affirme ses valeurs et son pouvoir, le territoire est à forcer, à défendre, à fermer, à délimiter, à aménager, à marquer, à contrôler, à conquérir, à occuper, à réserver, à fortifier, à gouverner. Un certain nombre d'articles portent donc sur la construction des territoires qui composent l'espace social et politique, leur ouverture ou leur cloisonnement: territoire utopique fondé sur la circulation et la communication dans Le Curé de village et Le Médecin de campagne au point qu'Alexandre Péraud est tenté d'y voir la mise en abîme des principes de composition de La Comédie humaine ("Construire le territoire: politique, utopie, poétique"); territoire parisien déployant "une nouvelle topographie du pouvoir" (103) qui s'organise autour de l'axe central des boulevards dont Jean-Dominique Goffette étudie la...