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Nineteenth Century French Studies 31.3&4 (2003) 278-296



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Réalité et imaginaire des parcs et des jardins dans la deuxième moitié du xixe siècle

José Santos


C'est l'ampleur ou la composition gracieuse de ces tableaux qui fait le charme des jardins modernes.

—Aldolphe Alphand (xv)

Elles [les nuits de sommeil profond] nous font retrouver là où nos muscles plongent et tordent leurs ramifications et aspirent la vie nouvelle, le jardin où nous avons été enfant. Il n'y a pas besoin de voyager pour le revoir, il faut descendre pour le retrouver.

—Marcel Proust (2.91)

Si, de tout temps, le jardin a représenté un terroir fécond pour l'imaginaire, tout laisse à croire que c'est pendant la deuxième moitié du xixe siècle qu'il atteint en France, dans la littérature, 1 une fonction sensiblement différente des autres époques, à la fois majeure et multiple. Avec le développement de l'ère industrielle, les villes, Paris en particulier, deviennent tentaculaires, inhumaines, et polluées. Haussmann, chargé par Napoléon iii de transformer la capitale, confiera à l'ingénieur Alphand la gestion des parcs et des jardins. L'espace libre dans les villes de 1850 devient nécessité: il faut respirer un peu d'air pur. C'est d'ailleurs à cette époque qu'en province chaque grande ville sera dotée d'un jardin public. Il faut donc croire qu'il existe une relation directe entre la réalité quotidienne et le fait qu'après 1850, et surtout entre 1880 et 1900, la littérature offre dans ses pages une place de choix au jardin sous toutes ses formes: parc, jardin public et privé, serre, certaines œuvres allant jusqu'à en faire le sujet central de l'ouvrage. 2 Cet espace privilégié deviendra en quelque sorte le carrefour des deux grandes tendances littéraires qui s'opposent vers la fin du siècle: celle qui, d'une part, va creuser dans le puisard des misères du siècle, du [End Page 278] réalisme au naturalisme, et d'autre part celle qui, en partie par réaction à la précédente, s'oriente de plus en plus vers la rêverie et le fantasme, à travers le symbolisme. Que ce soit comme exutoire, ou au contraire comme lieu secret, des secrets (des amours adultères ou "maudites"), obscur, maléfique, voire satanique, lorsqu'il n'est pas les deux à la fois, le jardin est partout présent, et de plus en plus au fur et à mesure que le siècle avance, car la littérature décadente en fera un de ses lieux privilégiés. Cette étude se propose donc d'analyser le rôle des jardins au sein de l'imaginaire de la deuxième moitié du siècle. Une première partie traitera de l'aspect historique, tandis que la deuxième partie sera consacrée à l'analyse de la fonction de cet imaginaire dans la poésie et dans la prose de l'époque.

L'utilisation du jardin en littérature n'est certes pas nouvelle. Il serait possible de remonter jusqu'à la Bible - et au-delà - pour en trouver des traces. Des études ont été réalisées pour ce qui concerne les autres époques, mais la critique a omis de s'intéresser de près au jardin "moderne," 3 qui va non seulement transformer peu à peu l'espace urbain mais offrira, en littérature, un terrain métamorphosé et pluralisé, où l'imaginaire de l'époque viendra largement s'abreuver.

Considérons tout d'abord l'aspect historique. Ce n'est qu'un an après sa nomination comme préfet de la Seine en 1853, que le baron Haussmann, chargé par Napoléon iii d'embellir et d'assainir la capitale, fait appel à un jeune ingénieur d'origine grenobloise, Adolphe Alphand, pour aménager et administrer ce qui devient "les promenades parisiennes." 4 Il faut avouer que la capitale en avait bien besoin...

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