Écrire, inscrire : Images d'inscriptions, mirages d'écriture (review)

Les poètes sont les ambassadeurs du monde muet. Comme tels, ils balbutient, ils murmurent, ils s'enfoncent dans la nuit du logos, jusqu'à ce qu'enfin ils se trouvent au niveau des racines, où se confondent les choses et les formulations.

—Francis Ponge, « Le monde muet est notre seule patrie », Le Grand Recueil, Méthodes (Paris : Gallimard, 1961) 198 (cité 240)

Écrire, inscrire : Images d'inscriptions, mirages d'écriture, décline de manière infiniment diversifiée cette fonction des poètes désignée par Francis Ponge: être « les ambassadeurs du monde muet ». Il le fait en recueillant les multiples figures d'« inscription » que se donnent les œuvres ou que construisent les réflexions sur les œuvres. Ce livre est cependant d'une nature absolument singulière. C'est un livre de critique, assurément, qui mobilise avec une précision toujours éclairante un nombre considérable de références, de citations, et qui dispose, chapitre après chapitre, de subtils échos entre les pensées et les propositions sur l'écriture et ses inscriptions, celles formulées par les écrivains, par de très nombreux écrivains, et celles formulées par les peintres, ou les musiciens, aussi bien. Sont associées, également, les figures des mythologies anciennes, lointaines, récentes, les théories philosophiques, dans un mouvement d'une parfois vertigineuse sagacité. Il y a littéralement foule dans ce livre, soigneusement convoquée, toujours avec subtilité et pourrait-on dire courtoisie. Le livre n'offre pas d'index, manifestement à dessein, mais il suffira au lecteur de parcourir les très nombreuses notes de référence qui suivent chaque chapitre pour se rendre compte de l'extraordinaire diversité et de l'importance des « auteurs » et des ouvrages (ce sont souvent de magnifiques surprises et des découvertes bibliographiques) que Jean-Claude Mathieu invite dans le mouvement de son enquête et dans cette immense exposition des figures (traces, inscriptions, empreintes) réunies pour dire le mirage de l'écriture, qui est la vérité de celle-ci, celle de son rapport à l'absence. Il pourrait y avoir un plaisir particulier à retenir ici quelques noms en désordre, de Platon à Char, de Bonnefoy à Molière, de Georges Séféris à Roberto Juarroz, de Stéphane Mallarmé à Jean-Loup Trassard, de Ponge à Anatole France, de Marina Tsvetaïeva à Virginia Woolf, de Hugo à Claudel, de Théocrite à Lucien, etc., il n'y a là qu'une liste infime, mais précisément ce serait un faux inventaire, car la conduite de l'essai donne un sens toujours probant, démonstratif ou plutôt révélateur, aux innombrables corrélations qui sont actives dans ce que l'on pourrait appeler la « prose citationnelle » de Jean-Claude Mathieu.

C'est en effet de la représentation que les créations artistiques ont pu - ont du - multiplement élaborer de leur inscription, et de leur rapport avec leur propre existence portée en signes, ainsi que de leur rapport avec ce qu'elles visent ou rapportent, que le livre de Jean-Claude Mathieu est luimême l'inventaire subtil, patient, attentif, méticuleux et toujours infiniment respectueux. Ainsi se dessine, par de multiples infimes petits traits (de citations vives, rendues lumineuses par leur mise en place au milieu de telles autres proches même si lointaines dans le temps et l'espace) le corps paradoxal qui porte l'existence des œuvres (tracés, signes, pages, portées, espaces, sons, voix, couleurs, pierres, air, eau).

Ce livre est dense, et vaste, non simplement par son nombre de pages (on doit admirer la fidélité de l'éditeur qui ose une publication de 632 pages), mais surtout par l'immense culture qui y résonne. On peut certainement appeler cette forme de critique une « poétique », non pas au sens où le livre commenterait des poèmes ou qu'il se ferait le relais critique des poètes, ou élaborerait une théorie du « poétique », mais au...