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  • La Démission des clercs : avatars de l’intellectuel français, des années 60 à nos jours
  • Christian Delacampagne (bio)

(Conférence donnée au Département de Langues Romanes, Johns Hopkins University, vendredi 21 septembre 2001)

Le 26 juillet 1983, deux ans après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, l’homme politique et écrivain socialiste Max Gallo publiait dans Le Monde un texte intitulé « Les intellectuels, la politique, la modernité », dans lequel il dénonçait ce qu’il appelait le «silence des intellectuels ». Il reprochait à ces derniers, notamment aux intellectuels de gauche, de n’apporter aucune contribution aux travaux du gouvernement ; de déserter, en somme, l’arène publique. L’article déclencha une polémique qui dura plusieurs mois.

Puis de nouveau l’été dernier, dans son numéro daté du 29–30 juillet 2001, Le Monde plaçait sa page « Société » (5) sous le titre suivant : « Un certain malaise s’est installé entre les intellectuels et le PS ». Simple répétition, à vingt ans d’intervalle, du même coup médiatique, destiné à relancer les ventes au moment de l’année où elles sont au plus bas ? Pas tout à fait. Car l’opération, cette fois, venant juste après le sommet du G 8 à Gênes, tentait en fait d’accréditer une analyse précise : l’analyse selon laquelle le Parti socialiste n’aurait pas bien compris l’importance du mouvement « anti-mondialisation ».

Laissons de côté l’enjeu politique de la manœuvre, ainsi que la question de savoir si l’analyse du Monde est pertinente. Ce qui m’intéresse, ici, est plus simple. C’est le fait que cette fois, à la différence de ce qui s’était passé durant l’été 1983, cette page n’a suscité aucune [End Page 756] réponse, déclenché aucune polémique. Dit autrement : c’est le fait qu’en 2001, à la différence de 1983, tout le monde ou presque s’est résigné au « silence » des intellectuels. Comme si, au fil de cette vingtaine d’années, il était devenu évident pour tout le monde que, dans la vie politique française, les intellectuels ne jouaient plus aucun rôle sérieux.

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Pourquoi ? Les raisons qu’on donne de cette disparition de l’intellectuel, quoique multiples et variées, s’inscrivent toujours, me semble-t-il, dans la structure d’un même « récit », qu’on pourrait résumer comme suit : pendant les « trente glorieuses », la société française s’est reconstruite. Elle a connu une prospérité nouvelle, tandis que s’estompaient les différences entre classes et que s’accomplissait, tant bien que mal, la décolonisation. Avec Pompidou, puis avec Giscard, elle est entrée dans la modernité. Avec Mitterrand, enfin, elle a accompli, sous l’égide d’un président supposé socialiste, sa conversion définitive aux vertus du libéralisme et du « moins d’Etat ».

Parallèlement, l’échec du communisme, annoncé par les dissidents soviétiques, ponctué par le ratage de la révolution culturelle chinoise ainsi que par la tragédie cambodgienne, et finalement consommé avec la chute du mur de Berlin, a achevé d’ouvrir les yeux de tous ceux qui, jusque-là, se berçaient d’espérances révolutionnaires. Les idéologies « totalitaires » (d’extrême gauche ou d’extrême droite), ces idéologies qui ont fait tant de mal au XXe siècle, ont fini par s’effondrer, ne laissant derrière elles qu’un immense scepticisme. Plus personne, désormais, ne pourrait sérieusement proposer de soumettre le monde à l’empire d’une idée.

Au pire, celui qui s’y risquerait en serait pour ses frais. Dans notre société du spectacle, en effet, les productions intellectuelles ne sont plus que des marchandises parmi d’autres, et les productions écrites sont vouées à être éclipsées par les productions audiovisuelles. En clair : les maisons d’édition publient de moins en moins de livres écrits par des intellectuels ; ceux-ci sont de moins en moins lus ; quant à leur impact sur la réalité politique...

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