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  • Du conte à la poésie, à la philosophie et à la politique: Lecture de Chants populaires de Philippe Beck
  • Béatrice Bonhomme

LE RECUEIL DE PHILIPPE BECK, Chants populaires, prend son ancrage dans l’univers des contes : « Chaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte ‘noté’ par les Grimm » (Beck, Chants populaires 7). Chaque poème signale un emprunt à la tradition et souligne sa source : (« D’après » Cendrillon, Blanche-Neige, etc.). L’auteur travaille sur la mémoire. C’est la mémoire par laquelle cette poésie devient collective, mémoire de gens baignés par les contes et secondairement, à partir des années 60 en France, par les travaux des formalistes sur les contes, Propp ou Troubetzkoy, pour ne citer que les plus connus. Le texte de Beck opère ainsi grâce à une remise en mouvement de la mémoire, la mémoire émotionnelle de l’enfance ou encore la mémoire plus structurelle provenant de lectures critiques sur le genre des contes.

Notons pourtant que le titre Chants populaires introduit un certain décalage par rapport à cet héritage des contes. Si Chants populaires reprend et « récrit » bien, en effet, des contes, le titre renvoie pourtant, de façon surprenante, aux « Rondes et chansons populaires » et connote immédiatement pour le lecteur un univers musical, poétique, à la fois gestuel, ludique et ritualisé : « Les enfances n’est-ce pas ?, sont toujours bercées de comptines et de chansons idiotes. Et l’enfant n’est-il d’abord “ce spécialiste du mal dit”, capteur d’un malentendu qui fonde l’indifférenciation de prose et poésie1 ? ». Le terme de « chant » est essentiel, car il renvoie au rythme, or « Il n’y a pas de vérité indépendante du rythme. […] La poésie est donc l’essai pour dire le rythme de la vérité, le rythme du vrai2 ». Chant populaire donc, car, sous la plume de Philippe Beck, le passage se fait du conte au poème et au chant, même s’il ne s’agit pas de « chansons », mais de « chants impersonnels […] fondés sur la légende de comportements anciens, dont chacun peut s’inspirer » (Beck, Chants populaires 9). Un chant « populaire » est, dans l’esprit du public, un chant anonyme créé par le peuple ou, du moins, dirigé vers une communauté populaire : « Chant populaire comme ‘Chant d’après’, chant qui se jette en avant du passé rouvert3 ». Le titre s’appuie ainsi sur une tradition et des archétypes qui nous ramènent à l’idée de partage, de jeu, de collectif et de peuple. Une création collective et anonyme va nous être transmise, le conte [End Page 78] gardant trace de son élaboration à la fois collective et successive : « Un conte, explique Philippe Beck, est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. Traditionnel signifie imprimé sur un grand nombre » (Beck, Chants populaires 9). Ainsi le poème « Réversibilité » récrit-il le conte bien connu de tous, celui de « Blanche-Neige » et évoque de cette manière la mère de l’héroïne, la princesse elle-même, puis sa bellemère : « Femme à la fenêtre noire / donne trois gouttes de sang / à Neige. / […] Elle a bientôt une enfant à trois couleurs. / Une couleur lui donne son nom. / Mère Suivante est peuplée / Elle a un miroir qui dit si elle est singulière. » (Beck, Chants populaires 37)

La reprise, continuation et recommencement, ne fige pas l’œuvre dans une nostalgie sclérosante, mais au contraire projette en avant l’héritage qu’elle a reçu. Cette reprise qui se réfère au « chant populaire » est pourtant également recouture savante, elle suit la tradition du conte, sans cesse raconté et modifié, de variantes en variantes, tout en prenant en compte la réécriture des frères Grimm. C’est aussi une affaire de récriture réversible, de réversibilité, le conte réécrit devenant « chambre d’échos », dispositif scénographique pseudo-naïf dont le fonctionnement apparaît comme en trompe-l’œil, permettant tout un...

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