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  • La pensée littéraire entre précarité et potentialité
  • Oana Panaïté

UNE MENACE PÈSE SUR LA LITTÉRATURE. De façon à la fois centripète et centrifuge, cette menace se propage de l’extérieur, venant du monde économique et politique, mais aussi de l’intérieur de l’institution universitaire qui, secouée par la crise, voit se déplacer toujours plus loin du centre les « humanités » berceau de la littérature. La dépréciation de ces disciplines et des valeurs qui leur sont associées—passion du savoir et de la recherche, admiration désintéressée du beau, perfectionnement moral et intellectuel des individus grâce à l’étude des classiques—serait, selon certains, à mettre à la charge des faiblesses d’un système éducatif né de l’alliance des idéaux soixante-huitards (rejet de l’autorité, exaltation sans discernement des droits des minorités qui entrave le questionnement et paralyse l’esprit critique et conduit au laxisme multiculturaliste, représenté par les études culturelles) avec l’idéologie capitaliste engendrant des comportements clientélaires et consuméristes ainsi qu’une apathie intellectuelle chronique dans le rang des étudiants1. Les analyses de Mark Edmunson sont les dernières en date à refléter cette croyance intime partagée par de nombreux universitaires. Aux décisions administratives précarisantes et aux reproches d’inactualité et d’inutilité tels que « We have failed to make the case that those skills are as essential to engineers and scientists and businessmen as to philosophy professors », les défenseurs de la littérature rétorquent, à l’instar de leur collègue de Virginie, « In the end, we can’t lose. [...] We have William Shakespeare2. »

Cependant, selon certains, les jérémiades issues de « l’idéologie victimaire3 » font long feu devant une situation historique laquelle, amorcée au dix-huitième siècle, correspond à une dévalorisation progressive que la littérature reflète et à laquelle elle-même réfléchit avec obstination depuis plusieurs siècles. L’absolutisation presque religieuse de la littérature à l’ère de son expansion et l’autonomisation de sa sphère esthétique et ontologique participent à une survalorisation qui mène à sa dépréciation contemporaine4 :

Notre thèse est donc la suivante : la littérature, la correspondance et l’idéologie humaniste n’influencent plus aujourd’hui que marginalement les méga-sociétés modernes dans la production du lien politico-culturel. Ce n’est nullement la fin de la littérature. Mais elle s’est marginalisée en une subculture sui generis et le temps où elle était surestimée comme vecteur de l’esprit national n’est plus. De même, le lien social n’est plus principalement un produit du livre et de la lettre5. [End Page 1]

Constamment éprouvée, la possibilité d’un véritable dialogue se retrouve entravée par l’abîme qui sépare l’idéal de l’art moderne et le paradigme envahissant de l’utilitarisme capitaliste. À cet égard, Rita Felski prend la mesure d’un « dialogue de sourds » qu’elle décrit de façon suivante :

Bristling with a new-found sense of indignation, politicians and pundits are demanding that the humanities be called to account, that professors be required to document the uses of the subjects they teach. There is no longer any agreement, it would seem, that Baudelaire and Buddhism are worth studying for their own sake. To many scholars, such demands seem radically misconceived—a sign of the growing philistinism and creeping corporatization of academic life. Yet in certain cases, interlocutors may be talking at cross-purposes. After all, what exactly do we mean when we talk about use? What does “use” encompass and how might its meanings and possibilities be understood6?

Envisagée sous cet angle, la menace qui pèse sur la littérature marquerait une fin salutaire, et ce, pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle clôt une période de « mainmise sur la culture par les études littéraires7 ». Deuxièmement, parce que la fin tant débattue de la littérature—de...

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