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  • La Belle Noyée: enquête sur le masque de l’Inconnue de la Seine by Bertrand Tillier
  • Stephen Steele
Bertrand Tillier. La Belle Noyée: enquête sur le masque de l’Inconnue de la Seine. Paris: Arkhê, 2011. Pp. 140. ISBN 978-2-918682-10-3. 15.90 €.

Peu d’objets, et peu de vies d’inconnus, laissent une trace aussi étendue que le masque d’une noyée anonyme, dont l’empreinte du visage aurait été prise au XIXe siècle dans des circonstances encore incomplètement élucidées. Le mystère de ce masque réside surtout dans l’expression conservée par le visage de la jeune femme au moment de sa mort, peut-être de son suicide. Les yeux sont fermés et les lèvres également fermées, sur un tout petit sourire visible au retrait des joues, saisi de manière plus nette dans les plâtres qui en ont été faits par la suite et que l’ouvrage de Tillier reproduit à côté du masque original, avec aussi des photographies d’ateliers de masques mortuaires et plusieurs illustrations de ce que les surréalistes ont pu imaginer à partir de ce masque et ses yeux clos. On compte, parmi les vingt-cinq reproductions sur papier glacé, les masques de Breton et d’Éluard, réalisés sur le même modèle. Mais c’est la présence du masque de la noyée dans l’Aurélien d’Aragon, et dans plusieurs compositions de Man Ray destinées à Aurélien notamment, qui fait souvent revenir Tillier sur ce masque comme point de rencontre et de diffusion d’un ensemble surréaliste, rêve, désir, mort, suicide et sommeil hypnotique, tous, sauf ce dernier, constitutifs d’une image féminine déjà à l’œuvre chez les préraphaélites.

Photographes, peintres et sculpteurs, comme Paul Nougé et Marcel Jean pour la figuration des yeux clos, Dali pour l’extase, Magritte pour le suicide et les masques mortuaires, Brancusi pour son idée de dénicher, selon Blanchot, une nouvelle candidate à la noyade, sont passés en revue. Hors des alentours du surréalisme, Tillier examine différents usages du masque de l’Inconnue, chez Céline en frontispice de L’Église à la place de la photographie de l’auteur, suscitant une réaction d’Aragon ; dans les nouvelles de Claire Goll ou d’Anaïs Nin ; avec une large circulation de l’image en Allemagne chez Muschler, Ödön von Horváth et Herta Pauli ; et des exemples en Angleterre chez Richard Le Gallienne et Sachervell Sitwell, à quarante ans d’écart. Tillier, qui précise la difficile reconnaissance du moulage en art, ne s’intéresse pas strictement au masque comme objet esthétique ou, dans le cas de l’Inconnue de la Seine, objet kitsch en vente dans les vitrines, voire en carte postale. Il rappelle comment les gueules cassées, soldats revenus de la Première Guerre, avaient parfois un masque-prothèse fabriqué pour camoufler leurs blessures, et évoque les techniques de moulage en pratique, le siècle précédent, à la Morgue de Paris ou lors de fouilles archéologiques.

Historien de l’art, Tillier est tout aussi à l’aise dans les autres disciplines, qui s’entrecroisent dans son « enquête » aux notes bien documentées. Considérant la richesse des sources exploitées, un index aurait permis au lecteur de mieux retrouver les références, que la « Note bibliographique » ne reprend que partiellement. Enfin, le texte, d’une écriture limpide, se découvre avec beaucoup de plaisir sur cinq chapitres encadrés par l’introduction du « Masque blanc » et la conclusion « Faire le gris », d’une expression reprise d’Aragon.

Stephen Steele
Simon Fraser University
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