In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Prédation et violence fondatrice :la chasse dans la réinterprétation par Pascal Quignard de la théorie mimétique-sacrificielle
  • Cristina Álvares

L'écriture de Pascal Quignard combine le discours narratif et le discours théorico-critique, notamment les théories structurales produites dans les domaines anthropologiques et psychanalytiques des Trente Glorieuses. Le structuralisme était alors la référence majeure de la pensée française, et il ne faut pas oublier que Quignard avait 20 ans en 1968 ni que, dans sa formation, il faut compter la lecture des œuvres de Lacan, Foucault, Benveniste : « En 1966 je me souviens d'avoir acheté en même temps à la librairie de la faculté les Écrits de Jacques Lacan, Les Mots et les choses de Michel Foucault, les Problèmes de linguistique générale d'Émile Benveniste. Magnifique année »1. Aussi son œuvre est-elle dominée, pré-occupée, tourmentée même, par des questions dont quelques-unes tournent autour de grands thèmes du structuralisme, comme le langage et la sexualité.

Jean-Louis Pautrot et Chantal Lapeyre-Desmaison ont mis en relief la présence, dans le texte de Quignard, entre autres discours théoriques, de ceux de Lacan et de Lévi-Strauss. En effet, les théories psychanalytique et anthropologique sont les plus mobilisées2, et le texte quignardien peut être étudié comme un champ où des postulats et des concepts du structuralisme sont réécrits, repensés et redéfinis de façon explicite ou implicite, dans le cadre d'une œuvre littéraire dont le projet et la portée sont, cela va sans dire, beau-coup plus vastes et complexes. La question centrale du structuralisme, que l'on retrouve chez Quignard comme question de fond, toujours attachée à sa pensée de l'origine, est celle du rapport entre nature et culture. Dans un entretien, Quignard affirme que la recherche d'un ancrage naturel de la culture et de la littérature est ce qui le rapproche de Lévi-Strauss—« Le structuralisme réintègre l'homme dans la nature », écrit Lévi-Strauss dans le « Finale » de L'Homme nu3—et de la mouvance structuraliste en général.

J.-L.P. Nous en venons à Claude Lévi-Strauss, envers qui vous avez reconnu « une dette toute littéraire » dans vos entretiens avec Chantal Lapeyre-Desmaison, et à propos de qui vous avez aussi écrit de belles pages dans Critique. Désaffection pour le sujet, la conscience, la philosophie, mesure de l'emprise de la langue sur l'humain, réflexion sur les relations du discontinu au continu : il me semble que votre quête vous rapproche de lui, et sans doute de la mouvance structuraliste [End Page 35] en général, en ce qu'elle serait la recherche d'un ancrage naturel de la culture et de la littérature.

P.Q. Oui. Absolument, oui4.

D'où l'assertion que l'on lit dans Sur le jadis : « la nature est l'origine »5.

La question du rapport entre nature et culture—sont-elles en continuité ou sont-elles ontologiquement étrangères l'une à l'autre ?—peut sembler futile mais elle constitue un enjeu épistémologique majeur, sinon l'enjeu épistémologique par excellence. C'est la question la plus épineuse du structuralisme et de son projet scientifique : pour mathématiser les sciences humaines, faut-il les naturaliser ? Faut-il trouver un substrat naturel aux formations culturelles, langagières, symboliques, bref au sens ? La réponse à cette question détermine les divergences fondamentales entre Lévi-Strauss et Lacan, pour ne parler que d'eux, qui tracent la problématique du structuralisme.

Au cours des dernières décennies, la problématique du structuralisme a connu des relances et des développements dans le cadre de théories comme celles de René Thom, de Jean Petitot et de René Girard6. Je crois que l'on peut parler d'un structuralisme de seconde vague, ou de seconde génération. Celui-ci est clairement naturaliste et pose la question de l'origine : d'où vient la structure, d'où vient l'ordre humain ? L...

pdf

Share