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  • Le Poète est un nageur (brèves remarques sur Chateaubriand et Byron)
  • Franc Schuerewegen

Un grand fleuve et non guéable dans la plupart des cas nous sépare des grands hommes de l'antiquité. Saluons-le d'un rivage à l'autre.

Sainte-Beuve

Chateaubriand a un compte à régler avec Byron qui est pour lui un double encombrant. L'Écossais a marché sur ses pas mais n'a jamais accepté de saluer son « modèle ». Dans les Mémoires, Chateaubriand se voit donc obligé de mettre les points sur les i. Le véritable père du Romantisme est lui, non l'autre. En somme, il faut rendre à René ce qui est à René. Je précise que je me place dans les pages qui suivent au point de vue du mémorialiste, essayant de raisonner comme lui, et avec lui. Byron lui a-t-il réellement emprunté des thèmes et des sujets ? J'avoue que je l'ignore. Ce sont là des questions pour l'historien littéraire1. Notre objet, ici, est une stratégie textuelle. Byron est un indésirable pour Chateaubriand dont il cherche, grâce à un dispositif que j'essaie de décrire, à se débarrasser. Le dispositif qui m'intéresse est essentiellement une tactique rhétorique, on verra laquelle.

Le chapitre quatre du livre douzième des Mémoires, et plusieurs séquences du « Livre sur Venise », dans les « fragments retranchés », sont consacrés au barde écossais. Byron, conclut Chateaubriand, ne pouvait pas ne pas devenir son émule, c'est-à-dire son plagiaire ; par ses origines, par ses goûts, par sa vie, il y était prédestiné :

À l'époque de mon exil en Angleterre, lord Byron habitait l'école de Harrow, dans un village à dix milles de Londres. Il était enfant, j'étais jeune et aussi inconnu que lui ; il avait été élevé sur les bruyères de l'Écosse, au bord de la mer, comme moi dans les landes de la Bretagne, au bord de la mer ; il aima la Bible et Ossian, comme je les aimai ; il chanta dans Newstead-Abbey les souvenirs de l'enfance, comme je les chantai dans le château de Combourg2.

Notons l'allusion à la mer : la rivalité entre les deux hommes, et les deux poètes, se situe en milieu liquide, nous aurons à y revenir. Mais commençons par être attentifs aux réclamations du sachem bafoué. Pour Chateaubriand, Byron est comme un fils qui aurait choisi de renier son père :

S'il était vrai que René entrât pour quelque chose dans le fond du personnage unique mis en scène sous des noms divers dans Childe-Harold, Conrad, Lara, Manfred, le Giaour, si, par hasard, lord [End Page 4] Byron m'avait fait vivre de sa vie, il aurait donc eu la faiblesse de ne jamais me nommer ? J'étais donc un de ces pères qu'on renie quand on est au pouvoir ? Lord Byron peut-il m'avoir complètement ignoré, lui qui cite presque tous les auteurs français et contemporains ?

(1:728)

Plus loin : « Point d'intelligence, si favorisée qu'elle soit, qui n'ait ses susceptibilités, ses défiances ; on veut garder le sceptre, on craint de le partager, on s'irrite des comparaisons » (1:728). Que fait-on d'un fils ingrat ? Mais on le punit ! Tout au moins, on lui passe un savon ! Le père vivant, mais qui s'adresse à nous « d'outre-tombe »—l'avantage du dispositif qu'invente Chateaubriand est entre autres qu'il lui permet de se placer au point de vue de l'éternité—, se permet alors de faire le bilan de la carrière littéraire du fils mort. Or le bilan est mitigé, et c'est le moins qu'on puisse dire :

Cependant Byron n'est plus ce qu'il a été ; je l'avais trouvé de toutes parts vivant à Venise : au bout de quelques années, dans cette même ville où je trouvais son nom partout, je l'ai retrouvé effacé et inconnu partout. Les échos du Lido ne le répètent plus, et si vous le...

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