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  • Présence et invisibilité de l'artiste indo-caribéen:un être sous tension
  • Patricia Donatien-Yssa

La question de l'invisibilitè et de l'existence de l'artiste indo-caribéen ne se pose pas seulement en termes de perception visuelle de son appartenance à une communauté précise. Elle se veut l'écho d'une « réflexion sur le sentiment d'éloignement géographique, historique et épistémologique »1 qui pourrait couper ces créateurs d'origine indienne d'une véritable participation à la culture caribéenne. Peut-on affirmer qu'être indien dans la Caraïbe d'aujourd'hui implique la nécessaire définition d'une indianité qui devrait être apparente, et se superposer à toute autre perception culturelle, et que, de même, toute création devrait refléter, ou révéler, l'infinité des équations identitaires des peuples caribéens.

Depuis plusieurs décennies, les écrivains indo-caribéens, notamment de Trinidad et du Guyana, occupent une place notable dans la production littéraire mondiale ; leur écriture s'affirme comme étant l'une des plus pugnaces, dans une Caraïbe où la diversité et la richesse de l'expression romanesque, théâtrale et poétique sont pourtant surprenantes. Les auteurs anglophones tels que V. S. Naipaul, Mahadai Das, Ramabai Espinet, Cyril Dabydeen ou encore Shani Mootoo occupent depuis longtemps le devant de la scène. Ils explorent, dans leurs œuvres, des sujets dont le traitement narratif original et innovant valorise à la fois leur indianité, et leur préoccupation pour une Caraïbe riche de sa pluralité, mais encore stigmatisée par l'histoire. La question de la visibilité de l'écrivain indo-caribéen anglophone ne se pose donc guère.

Ce succès littéraire n'est pas un fait isolé et s'inscrit dans le mouvement de revendication culturelle qui a très tôt animé les communautés indiennes du Guyana, du Suriname et de Trinidad. Dès le début du 20e siècle, les Indiens venus du Nord de l'Inde, majoritairement de l'Uttar Praddesh, et déportés en grand nombre dans les colonies britanniques, se démarquent du reste de la population, et notamment des afro-caribéens, en affirmant leur spécificité culturelle. Les indo-caribéens, confrontés à un processus de créolisation, naturel dans ces sociétés plurielles, mais qu'ils perçoivent comme une déperdition identitaire, établissent au-delà des nations, des frontières et des océans, des liens culturels forts dans le but de valoriser leurs origines et leurs communautés. Très tôt des pionniers tels que Sital Prasad Doobey2 du Surinam lancent les premiers festivals et rencontres inter-caribéennes axés sur la [End Page 95] culture indienne, et encouragent les artistes—écrivains, poètes mais aussi danseurs et chanteurs—à produire un art distinctif et marqué par la résurgence de l'identité indienne.

Depuis 1995, le Rajkumari Cultural Center3, émanation diasporique de la vitalité culturelle du Guyana, développe au cœur de New York les arts et traditions populaires indiens et indo-caribéens : des formes d'art « modelées par l'expérience historique de la migration et de la colonisation »4. D'autres organisations du même type existent dans la Caraïbe, dans plusieurs grandes villes des États-Unis, et à Londres. Par ailleurs, dans le domaine de l'expression chorégraphique, des troupes telles que la « Caribbean Indian Dance Troupe » (dirigée par Fidel et Isha Persaud, indo-caribéens de la diaspora) qui s'exprime dans la plus pure tradition du style Kathak5, et la « Scarf Folk Dance », qui elle, promeut une expression syncrétique bien connue à Trinidad sous le nom de « Chutney Folk Dance », se forgent peu à peu une visibilité accrue, en se produisant dans la Caraïbe toute entière, aussi bien qu'en Europe et aux États-Unis.

Cependant, le succès des indo-caribéens semble avoir ses limites dès que l'on touche à d'autres formes d'art, et toute recherche sur leur impact dans le monde artistique de la Caraïbe débouche sur deux constats. Le premier...

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