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  • Dure poésie générale
  • Christophe Wall-Romana

Un vent d'étrangeté souffle sur la poésie contemporaine, et pas plus qu'un vent peut-on en fixer précisément toutes les ramures changeantes. Tout au plus peut-on situer quelques-unes des grandes aires de méconnaissance qui entourent la poésie d'en ce moment, venant d'un public soi-disant boudeur—mais ne le méconnaît-on pas, lui aussi ? d'une critique interloquée qui tente de raccrocher ce qui a nom de poésie à ce qui l'avait, et des poètes mêmes qui, sans se cultiver des verrues sur le visage, cherchent à (se) rendre la poésie « méconnaissable », en un sens qui dépasse l'ostranenie des poéticiens ou le ressort de la « surprise » pour l'Esprit nouveau.

Mek-Onne-Essence, pourrait-on dire, pour singer La République de Mek-Ouyes (Paris: P.O.L., 2001) de Jacques Jouet… ?

Ce vent de méconnaissance rouvre massivement la poésie à son essence (d'aucune essence) après que se sont essoufflées les querelles théoriques, encore un tantinet publiques et disciplinaires, autour du « nouveau lyrisme » et de « la littéralité » dans les années 90. L'impulsion nouvelle vient sans aucun doute du manifeste de grève lyrique de La Revue de littérature générale no. 1 d'Olivier Cadiot et Pierre Alferi en 1995—grande année des grèves de l'après-68, ne l'oublions pas. Cette grève enrayant la « mécanique lyrique », ainsi que ces auteurs nomment une vue restreinte de la poésie, ne signifie pas un simple anti-lyrisme forcené. Il s'agit plutôt d'un relâchement de ce que Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe résument dans la formule « le romantisme est notre naïveté » (dans L'Absolu littéraire), c'est-à-dire reste la norme immergée de notre idée même de littérature. Et si Cadiot et Alferi en appellent à des notions de texte, de production, de matérialité, et de pratique contre la partition du sensible qui a prédéfini assez étroitement la place et le rôle du poétique dans la sphère sociale, leur propos semble aujourd'hui moins polémique, outrancier voire moins novateur qu'engagé dans la synergie de la trouvaille. Certes elle est déjà au cœur du trobars cette trouvaille. Peutêtre est-ce pour cela que les trois poètes qui informent de façon privilégiée la poétique contemporaine—Ezra Pound, Georges Bataille, et Jacques Roubaud—sont tous médiévistes : « make it new » dira l'un en idiome moderniste ; « la poésie c'est tout ce qui nie la poésie » traduira le second en théologie négative ; tandis que pour le dernier la mathésis oulipienne transforme la littérature en ouvroir à géométrie toujours variable. Pourtant il ne [End Page 1] s'agit plus dans cette nouvelle poésie, il nous semble, du sublime exploratoire de la trouvaille baudelairienne (« Plonger au fond du gouffre pour trouver du nouveau ») qui s'étendra jusqu'au Surréalisme, mais d'un nouvel ordre de travail-trouvaille, à l'intersection de l'écriture et d'autres modes opérationnels. La nouvelle poésie ne compte plus sur un répertoire de formes, de voix, d'émotions et d'images pour produire des poèmes, non pas parce que ces formes, voix, émotions et images n'ont plus cours, mais parce que de nombreux poètes considèrent que celles-ci n'ont plus ni efficacité ni valeur courante, car leur cause est entendue. René Char définit la liberté comme ce dont on n'hérite pas, car comme le feu elle est toujours à refaire. La nouvelle poésie renoue avec cette liberté, et se voit (radicalement, diront certains) forcée d'approprier de nouvelles pratiques dans le répertoire opérationnel de tous les savoirs et toutes les techniques afin de réinventer la poésie dans son matériau même. Elle le cherche dans le récit ou la fiction (non...

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