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L'Esprit Créateur 47.2 (2007) 138-149

De l'interprétation des musiques électroniques dans la littérature française contemporaine
Alain-Philippe Durand

Dans un article publié en décembre 2001 par le Magazine Littéraire, Jean-Yves Leloup décrit sommairement une nouvelle génération de romanciers dont les textes sont en partie inspirés par les musiques électroniques, des écrivains français « nés dans le tourbillon des raves et des dancefloors »1 . Ces auteurs partagent le désir d'incorporer dans leurs œuvres un environnement musical authentique. Pour certains, le milieu de la musique électronique n'est qu'un prétexte qui sert de décor à l'action. Pour d'autres, ce milieu sert de base à la peinture d'un aspect spécifique de la société contemporaine. Enfin, pour une minorité, il s'agit d'inventer une nouvelle forme d'écriture à partir des techniques et nouvelles technologies qu'utilisent les disc-jockeys (D.J., appellation des musiciens électroniques)2 . Nous avons déjà examiné comment plusieurs romanciers des années 80 et 90 écrivent le bruit3 . Dans le présent article, nous discuterons la présence et l'influence des musiques électroniques dans la littérature française de la fin du vingtième et du début du vingt-et-unième siècle4 . Après quelques considérations théoriques et une présentation du corpus, on s'attardera sur le cas de Patrick Bouvet.

L'influence qu'exerce la musique sur la littérature n'est pas nouvelle. Néanmoins, si, comme le souligne Eric Prieto, la musique a toujours eu sa place dans le roman, cela a souvent été en tant que thème ou source d'inspiration. Hormis de rares exceptions, la mise en scène de la musique et des musiciens ne se fait pas selon des voies qui affectent directement ce qu'Aldous Huxley appelle la construction du roman5 . Trois autres événements semblent fondamentaux si l'on veut saisir l'influence des musiques électroniques dans le cas précis de plusieurs romanciers de la fin du vingtième et du début du vingt-et-unième siècle. Il s'agit de l'invention du phonautographe, une machine créée en 1857 par Léon Scott de Martinville dans l'espoir d'écrire le son littéralement, de le rendre visible6  ; celle du phonographe, l'ancêtre du lecteur CD en 1878 par Thomas Edison ; et enfin celle du e-mu emulator, le premier sampler ou échantillonneur en 1980 par Dave Rossum et Scott Wedge : une sorte d'ordinateur équipé d'un logiciel qui permet de se « réapproprier un extrait sonore sur un disque, à la radio, en fait, sur toutes sources sonores » (Boucher 477)7 et de le stocker en mémoire8 . Ce qu'il est important [End Page 138] de souligner ici est le concept de l'enregistrement des sons (et donc celui de la musique) qui ouvre de nouvelles perspectives quant à leur manipulation, à leur amplification et à leur retranscription. L'enregistrement est une redéfinition de la matière première qui permet de ne plus dépendre des instruments de musique. La répétition et les enregistrements strictement identiques, les collages et les mélanges de sources sonores les plus invraisemblables, mais aussi l'archivage sonore sont désormais de l'ordre du possible.

Les romanciers se sont rapidement ouverts à ces nouvelles technologies, à l'enregistrement sonore et à la sonorisation des textes, c'est-à-dire aux façons de transmettre par écrit l'effet de quelque chose d'audible. Citons en guise d'exemples et de précurseurs deux œuvres qui semblent essentielles si l'on veut comprendre par la suite la vague de ce que nous appellerons des romans « sonores » publiés depuis la fin des années 80. Dans La Nausée (1938), premier roman de Jean-Paul Sartre, Roquentin ne se lasse pas d'écouter « au phono » Some of...

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