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L'Esprit Createur 46.3 (2006) 1-5



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Préface

Dartmouth College

Jules Michelet Représente Aujourd'hui encore la voix de la France républicaine, romantique et nationaliste. Il ne fait pas seulement partie d'un passé révolu. Les problèmes historiques et nationaux, sociaux et civiques, théoriques et pédagogiques auxquels l'historien s'est consacré de son vivant, resurgissent à nouveau, prenant des formes, des accents, un vocabulaire différents : quelle histoire faut-il raconter à la nation ? Quel rôle doit jouer le principe national dans l'Europe d'aujourd'hui ? Comment intégrer les masses dans la vie de la société ? Peut-on encore exiger l'assimilation des individus selon un modèle universel dans une République qui ne connaît que des individus, libres et égaux en principe ? Faut-il enfermer dans la sphère privée les droits culturels particuliers, ou bien accepter une France multi-culturelle, organisée en communautés ? Quels liens peuvent unir une nation fragmentée par des cultures hétérogènes où chacune réclame le droit de s'afficher ? Quel type d'enseignement faut-il élaborer pour permettre à la fois l'épanouissement de l'individu et l'intérêt collectif ? Comment freiner l'égoïsme individuel et l'harmoniser avec les aspirations plus compréhensives de la société ? Comment améliorer la condition des femmes et refonder la famille éclatée ? Bien que la plupart des solutions que propose Michelet se révèlent périmées, voire inadmissibles, et que son discours hyperbolique soit anachronique, les questions s'imposent avec autant d'urgence aujourd'hui qu'au XIXe siècle. De plus, la qualité littéraire de son écriture le place parmi les historiens modernes les plus stimulants. C'est aussi en vertu de sa curiosité encyclopédique et de l'aspect pluridisciplinaire de son projet historique que Michelet reste actuel.

Michelet est resté titulaire d'une chaire d'histoire et de morale au Collège de France jusqu'à sa destitution officielle le 12 avril 1852, si bien que son corpus reste marqué par un impératif pédagogique. À ses études historiques (Histoire de France, Histoire de la Révolution française, Histoire du XIXe siècle), s'ajoutent des ouvrages naturalistes, des essais sociologiques, comme Le Peuple, L'Amour, La Femme, un traité sur l'éducation, Nos fils, un pamphlet, La France devant l'Europe, et sa célèbre étude, La Sorcière qui illumine l'histoire des femmes et des sorcières. C'est un éducateur au sens le plus large du terme : il voulait régénérer ses compatriotes et répandre les principes républicains en France. Aussi son Histoire de la Révolution française (1847-53) [End Page 1] était-elle, selon lui, la première histoire 'républicaine', s'appuyant sur les valeurs qui devaient modeler l'esprit des citoyens et inspirer leur nationalisme. Ce terme, produit de la Révolution, ne se limite pas au seul dévouement à la patrie (le 'patriotisme'), ni simplement à l'effort pour défendre et renforcer l'appartenance à la nation. Il s'agit pour l'historien de l'ériger par ses écrits. La représentation que Michelet donne du passé a un but bien précis : celui de construire autant que de réveiller la mémoire et les connaissances des Français pour les engager à réaliser leurs promesses d'une société libre et fraternelle. Ces promesses engagées par la Révolution et la Constitution de 1791, n'ont selon lui pas été tenues. L'historiographie était le moyen de prendre en compte le passé pour orienter la France vers l'avenir.

Comme beaucoup de professeurs et d'hommes de lettres pendant la monarchie de Juillet, Michelet s'exagérait l'influence de son propre 'capital symbolique', le degré de sa consécration fondée, comme l'explique Pierre Bourdieu, sur la dialectique de la connaissance et de la reconnaissance1 . L'historien affirme, par exemple, que sa chaire de morale et d'histoire « n'est pas...

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