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L'Esprit Createur 46.3 (2006) 25-29



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Le Peuple

Princeton University

Le 1er Août 1853, Michelet Note en conclusion de son Histoire de la révolution française, « [qu'elle] est la première républicaine, celle qui a brisé les idoles et les dieux. De la première page à la dernière, elle n'a eu qu'un héros : le peuple »1 . Ceci vaut pour Michelet comme profession de foi et comme philosophie de l'histoire. Car la force vive de l'histoire, et celle qui a été systématiquement occultée par les historiens, c'est le peuple. Pour Michelet, l'œuvre de l'historien consiste précisément à retrouver, par-delà les documents fournis par les archives et les récits consacrés aux grands hommes, l'élément populaire qui seul autorise les grands changements, fonde le droit moral et porte en lui la vérité de l'histoire.

Mais qu'est-ce qu'un peuple ? C'est avant tout la grande mutation qui résulte de la fusion des races dans un territoire géographique donné, un sol circonscrit dont le rôle est fondamental : « Sans une base géographique, le peuple, l'acteur historique, semble marcher en l'air comme les peintures chinoises où le sol manque »2 . Dans le premier âge de la vie de la nation française, les races du Nord et du Midi sont venues s'ajouter à ce que Michelet appelle « la base originaire [...] cette jeune, molle et mobile race des Gaëls, bruyante, sensuelle, et légère »3 . À l'inverse d'Augustin Thierry, Michelet ne croit pas à la « persistance des races »4 , mais à leur fusion dont résulte la formation d'une communauté unique. L'unité du royaume coïncide alors avec cette fusion des races et la naissance du peuple proprement dit. La solidarité du peuple, son détachement progressif de la condition servile qui l'attachait à la terre pour en devenir enfin le propriétaire, sa marche vers la liberté, telle est la véritable histoire de la nation française dont l'épisode le plus glorieux reste la Révolution de 1789.

Il convient de noter en effet que Michelet termine Le Peuple le 24 janvier 1846, soit huit jours après la première leçon du cours de janvier-février au Collège de France dont le sujet s'intitule « La Révolution est notre droit, non un fait. La Révolution, c'est la France ». Sans doute, le peuple dont il est question dans l'ouvrage que Michelet vient d'achever est le peuple de 1846, celui qui a déjà accompli l'acte sacré de la Révolution, peuple soldat marqué par son expérience de la bataille. Ainsi le paysan n'est plus de cette race « humble et patiente » qui épargnait chaque sou pour devenir enfin propriétaire de la terre labourée. « Il a le cœur plus haut », note Michelet, « il a été soldat. Les grandes choses qu'il a faites en ce siècle l'ont habitué à croire sans difficulté [End Page 25] l'impossible. Cette acquisition de la terre, pour lui, c'est un combat ; il y va comme à la charge, il ne reculera pas. C'est sa bataille d'Austerlitz »5 . Non que l'expérience militaire se borne à la seule production d'un regain de confiance dans le monde paysan : les fabricants, ceux qui se sont prodigieusement élevés de 1815 à 1821, « de la vie militaire gardèrent généralement, non le sentiment de l'honneur, mais bien de la violence. [...] ils semblaient appliquer à l'industrie le grand principe impérial, sacrifier des hommes pour abréger les guerres » (Peuple 114). L'industrie ne fut « qu'un combat », dont l'ouvrier fut la première victime. L'expérience de la guerre explique également l'âpreté du marchand : « Toute sa vie se compose de deux guerres, guerre de tromperie et de ruse contre cet acheteur déraisonnable, guerre de vexations et d'exigences contre le fabricant » (Peuple 120). D...

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