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L'opération du théâtre Jean-Loup Rivière LE THÉÂTRE—je parle de la représentation théâtrale—est une opération. Ce n'est pas un objet exposé tel quel, c'est un enchaînement d'actes. Je voudrais donc faire quelques remarques sur ce qu'opère le théâtre. Je le ferai à partir d'une pièce de Nathalie Sarraute, Elle est là , et de sa mise en scène par Jacques Lassalle. ' Je ne parlerai donc pas tant de la pièce elle-même que du fait qu'elle est une pièce, un texte pour le théâtre, un texte qui appelle un metteur en scène et des acteurs. C'est-à -dire une interprétation particulière. Umberto Eco distingue deux types d'interprétation: l'interprétation sémantique (ou sémiosique) et l'interprétation critique (ou sémiotique). Dans la première, "le destinataire, face à la manifestation linéaire du texte, la remplit de sens"; dans la seconde, il "essaie d'expliquer pour quelles raisons structurales le texte peut produire ces interprétations sémantiques".2 L'interprétation théâtrale est d'un troisième type dont voici quelques caractéristiques: —Elle a deux opérateurs distincts, mais qui interprètent ensemble, le metteur en scène et les acteurs. —Elle interprète par d'autres moyens que le langage, sauf, en partie, pendant son élaboration, les répétitions. —Elle est d'une certaine manière circulaire, puisqu'elle re-présente le texte dans des formes particulières. —L'interprète n'est pas le destinataire du texte: il est un intermédiaire qui transmet en transformant. Inventée à la fin du siècle dernier, la mise en scène théâtrale a formalis é par des usages et des protocoles cette dimension de l'interprétation . Des textes de théâtre étaient mis en scène avant "l'invention" de la mise en scène, mais il n'y avait pas à proprement parler de "metteur en scène". La mise en scène, œuvre d'un acteur, d'un auteur ou d'un régisseur, était, pour ainsi dire, "inconsciente". Certains avaient eu l'intuition de sa nécessité, comme Rémond de Sainte-Albine ou Mercier, mais, en France, il faut attendre Antoine et la création du Théâtre-Libre en 1887 pour que la mise en scène devienne consciente d'elle-même et ouvre un cours nouveau dans l'histoire du théâtre.3 Dans le Uvre de Rémond de Sainte-Albine, on trouve notamment cette idée qu'avec le VOL. XXXVI, NO. 2 103 L'Esprit Créateur grand acteur—et c'est là qu'apparaît la dimension de la mise en scène interprétante—, l'auteur peut se permettre "d'omettre ou de sousentendre " car l'acteur prendra en charge le "supplément" ou le "commentaire ". Jouer, c'est relever ce qui n'est pas dit. Le théâtre de Nathalie Sarraute pourrait alors apparaître comme déjà "mis en scène" dans la mesure où il est une entreprise de mise à jour de ce que, pour aller vite, nous appellerons "sous-entendu". On pourrait ainsi soutenir que l'écriture de Nathalie Sarraute est une sorte de mise en scène. Beaucoup d'écrivains de théâtre cherchent d'ailleurs à réduire, dans le texte même, la tâche du metteur en scène. Ordinairement, c'est par les indications de scène (les didascalies) qu'ils s'y emploient. Non par hostilité ou défiance, mais par nécessité. En effet, la mise en scène "achève" le texte, car un texte de théâtre, s'il est accompli comme texte, ne l'est pas comme œuvre. Or un écrivain ne peut écrire que dans une perspective d'achèvement , ou plus exactement dans une balance entre l'achèvement et l'inachèvement: un texte infini resterait en effet privé puisque le moment de le livrer n'arrivera jamais; et un texte qui porterait en lui son propre achèvement n'aura aucune nécessité d'être mis...

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